Volume 7 • 2020 • Numéro 2

Les patients leur disent des choses comme : « quand est- ce que le vrai dentiste arrive? » ou « tu es trop belle ou trop jeune pour bien faire ce travail ». Il a été encore plus troublant d’apprendre les remarques sexuelles explicites qui sont adressées aux étudiantes, comme « je fantasme sur toi ». À notre grand désarroi, les étudiantes qui ont été victimes de harcèlement n’en ont généralement parlé à personne. Si elles en ont parlé, elles se sont fait dire que ça fait partie des inconvénients du travail, que « l’on n’y peut rien », qu’il faut s’y habituer. Q Que peut faire un dentiste pour aider à prévenir le harcèlement sexuel dans son cabinet? HVh : Les dentistes devraient élaborer des politiques de lutte contre le harcèlement et des pratiques à l’appui de celles-ci. Discutez en toute franchise du risque de harcèlement ou de violence sexuelle pour le personnel. Installez des affiches indiquant clairement que votre cabinet ne tolère aucune forme de harcèlement ou de violence. Chez mon dentiste, la porte n’est jamais fermée. Adoptez une politique de la porte ouverte. Quand vous aménagez une salle de traitement, essayez de réduire le risque qu’une personne puisse bloquer l’accès à la sortie. Des caméras vidéo peuvent avoir un effet dissuasif, et vous devriez mettre des affiches indiquant qu’il y a une surveillance vidéo. Offrez une formation au personnel pour qu’il soit capable de parler de ce sujet difficile et qu’il sache comment le dire quand quelque chose ne va pas. SR : Dans ce scénario, l’hygiéniste a ri et a cru qu’elle devait être sympathique même si elle se sentait mal à l’aise. Changez les mentalités. Vous pouvez dire : « Nous n’encourageons pas le personnel à tolérer ce qui le rend mal à l’aise. » Discutez de ce que veut dire être sympathique, mais établissez aussi des limites professionnelles fermes fondées sur le respect mutuel. L’hygiéniste n’a pas trop réagi parce qu’elle ne voulait offenser personne. Elle espérait que la situation se règle d’elle- même. Nous n’aimons pas les conflits. Mais il faut apprendre à fixer sainement des limites. Il vaut souvent mieux avoir une conversation difficile au début pour éviter une conversation encore plus difficile plus tard. HVh : Durant la formation, ajoutez un volet pratique. Le fait de s’exercer à aborder le sujet facilite la tâche quand une affaire survient. IK : Je suis d’accord. Les politiques et la formation font partie des obligations des employeurs, mais bon nombre échouent dans leur mise en application. Si le personnel sait que votre cabinet a une tolérance zéro envers le harcèlement, cela aidera à prévenir le harcèlement à l’interne (entre employés) et fera en sorte que, si un membre du personnel est harcelé par un tiers (comme un patient), il n’hésitera pas à vous le signaler. Q Que devraient lire les dentistes sur le sujet? HVh : Je recommande aux dentistes de lire les textes législatifs de leur province ou territoire. La plupart font expressément mention du harcèlement sexuel, bien que quelques-uns se limitent au harcèlement. Le ministère du Travail et les associations provinciales de la santé et sécurité peuvent offrir d’autres bonnes ressources. Le gouvernement fédéral a publié un rapport de consultation publique que les dentistes pourraient lire. a • Série sur les milieux de travail sains • * Dix provinces et territoires ont des mesures législatives portant sur la violence et le harcèlement en milieu de travail, soit l’Ontario, le Manitoba, l’Alberta, la Saskatchewan, la Colombie-Britannique, Terre-Neuve-et-Labrador, l’Île-du-Prince-Édouard, le Nouveau-Brunswick, le Nunavut et les Territoires du Nord-Ouest. La Nouvelle-Écosse a des dispositions législatives contre la violence en milieu de travail, mais pas contre le harcèlement, tandis que le Québec en a contre le harcèlement en milieu de travail, mais pas contre la violence en milieu de travail. Le Yukon n’a pas de loi sur la violence ou le harcèlement au travail, mais il a des politiques et procédures en la matière. Le gouvernement fédéral a adopté une loi sur la violence et le harcèlement au travail pour tous les lieux de travail qu’il régit. Q En tant qu’employeur et collègue d’une personne victime de harcèlement sexuel, comment faire pour offrir un soutien adéquat? HVh : Le harcèlement sexuel est une affaire très intime qui peut être traumatisante. Adressez toujours la victime à un professionnel compétent, tel un conseiller. La victime pourrait décider qu’elle n’a pas besoin de tels services, mais il est essentiel de lui offrir. SR : Je suis tout à fait d’accord. À long terme, le harcèlement sexuel finit par être lourd à porter. Il accroît le risque d’épuisement professionnel. Il est donc très important de faciliter une aide professionnelle. Pour que cesse le harcèlement sexuel en milieu de travail, nous devons vraiment changer les mentalités au lieu de simplement jouer les pompiers de service. Q Si l’enquête menée par le dentiste le mène à conclure que l’hygiéniste a été victime de harcèlement sexuel, que doit-il faire? IK : À titre d’employeur, le dentiste a l’obligation de maintenir un milieu de travail sécuritaire pour l’hygiéniste. Cela signifie qu’il doit veiller à la protéger contre tout harcèlement de la part du patient. Au minimum, le dentiste doit s’assurer qu’elle n’a plus à interagir avec ce patient, en le confiant à une autre hygiéniste. Le dentiste peut aussi refuser de fournir des services à ce patient, mais il doit consulter son organisme de réglementation avant de prendre une telle décision. Cette option indiquera au patient que le dentiste ne tolère aucunement que le personnel soit victime de harcèlement sexuel, mais elle enverra aussi ce message aux autres membres du personnel. Q La façon de réagir à un signalement de harcèlement sexuel affecte-t-elle la santé et la sécurité du milieu de travail par la suite? HVh : Votre réaction aura une énorme incidence sur le rétablissement de la victime. Se sentira-t-elle en sécurité de revenir au travail? Sentira-t-elle qu’elle est comprise et que vous la croyez? Ce qu’a vécu la victime affectera le reste du personnel. Si vous ne réagissez pas, celui-ci pourrait se sentir à risque et ne signalera certainement pas un acte de harcèlement sexuel s’il a l’impression que vous ferez fi de ses propos. SR : Je donnais récemment une formation à Houston sur la résilience pour les fournisseurs de soins de santé. Nous avons parlé de la fatigue compassionnelle. Une carrière dans les soins de santé veut dire une carrière au service de l’autre. Les travailleurs de la santé sont tournés vers les patients et toujours à l’affût de leurs besoins. Alors, il peut être incompréhensible de se faire malmener par un patient. Dans une affaire de harcèlement sexuel, il y a aussi le risque de traumatisme secondaire. La prochaine fois que l’hygiéniste verra un patient, revivra-t-elle le même cauchemar? Son traumatisme affectera-t-il sa capacité à s’occuper des patients? Ira-t-elle jusqu’à l’épuisement? L’épuisement professionnel se décrit comme une incapacité à se rétablir et se ressourcer, à tel point que la personne sent qu’elle ne peut plus travailler efficacement ou même travailler tout court. Puis, il est également important de tenir compte du désarroi moral, c’est-à-dire du sentiment de savoir quoi faire, mais de ne pas pouvoir le faire ou d’être limité en raison de facteurs liés au milieu de travail. Si le cabinet ne montre pas qu’il se soucie des actes de harcèlement sexuel, les collègues sentiront de la fatigue compassionnelle, un traumatisme secondaire et un désarroi moral. HVh : Ce type de comportement peut mener à un stress professionnel ce qui constitueunpréjudice indemnisabledans bien des provinces. Le fait que ce ne soit pas un traumatisme physique ne signifie pas qu’il n’y a pas de préjudice psychologique. SR : La santé mentale joue sur la santé physique. Les professionnels de la médecine dentaire courent déjà le risque de subir des blessures physiques en raison des impératifs de leur travail. Ajoutez à cela l’angoisse. Une personne est plus vulnérable à la douleur physique si elle doit composer avec une douleur émotionnelle. HVh : Excellente observation. En plus, dans un milieu dentaire, il est impossible de se tenir à distance des autres si vous craignez d’être victime de harcèlement sexuel. Le travail exige que vous soyez près physiquement des patients. Q Le harcèlement sexuel est-il courant dans le domaine des soins de santé? HVh : Une enquête menée en 2017 dans les hôpitaux a révélé que 42 % du personnel hospitalier, y compris les infirmières auxiliaires, avaient été victimes de harcèlement ou d’agression sexuels. Selon un sondage de 2018 auprès du personnel de soutien et des infirmières auxiliaires dans les centres d’hébergement et de soins de longue durée, 65 % des répondantes ont dit avoir été harcelées et 44 % avoir été agressées. Ces professions sont surtout exercées par des femmes et exigent une proximité avec les personnes. Il est impossible de garder ses distances. Vous êtes toujours très proche des autres. SR : Récemment, j’ai travaillé à un sondage avec des chefs de file de la formation en médecine dentaire. Ce sondage a été mené auprès de quelque 400 étudiants de 20 facultés de médecine dentaire. Il a révélé que 20 % des étudiantes avaient été harcelées par un patient. Il comportait des questions sur les remarques sexistes, les remarques vulgaires à caractère sexuel et les avances sexuelles non désirées. Les étudiantes ont indiqué qu’elles avaient l’impression d’être prises moins au sérieux par les patients en raison de leur sexe. • Série sur les milieux de travail sains • Ressources Rapport du gouvernement du Canada : Harcèlement et violence sexuelle en milieu de travail canada.ca/fr/emploi-developpement-social/services/ sante-securite/rapports/harcelement-violence- sexuelle-milieu-travail.html Ressources de l’organisme RAINN sur le harcèlement sexuel : rainn.org/articles/sexual-harassment [en anglais] Ressources de l’Association de santé et sécurité pour les services publics sur le harcèlement sexuel en milieu de travail : pshsa.ca/blog/workplace-harassment-investigations- will-you-panic-or-be-prepared [en anglais] Les opinions exprimées sont celles des auteures et ne reflètent pas nécessairement les opinions ni les politiques de l ’ Association dentaire canadienne. P oint de mire P oint de mire 34 35 | 2020 | Numéro 2 Numéro 2 | 2020 |

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