Fasciite nodulaire de la cavité buccale

Albert J. Haddad, DMD •
Sylvie Louise Avon, DMD, MSc •
Cameron M.L. Clokie, DDS, PhD, FRCD(C) •
George K.B. Sàndor, MD, DDS, FRCD(C), FRCS(C), FACS •

Sommaire

 

Les lésions des tissus mous à évolution rapide, siégeant dans la région buccale et maxillo-faciale, peuvent faire référence à une variété de diagnostics qui exigent des traitements tous aussi différents. D’où l’importance de poser un diagnostic précis pour éviter des chirurgies inutiles et souvent mutilantes. La fasciite nodulaire est une lésion fibreuse à prolifération rapide qui se présente comme une masse d’apparence tumorale. Bien que jusqu’à 20 % de ces lésions se manifestent au niveau de la tête et du cou, les lésions de la cavité buccale sont extrêmement rares. Nous décrivons ici un cas de fasciite nodulaire buccale avec un bref recensement de la littérature.

Mots clés MeSH : case report; fasciitis/pathology; mouth diseases/pathology

© J Can Dent Assoc 2001; 67(11):664-7
Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.


La fasciite nodulaire, également désignée fibrosite nodulaire, fibromatose sous-cutanée1, fasciite pseudo-sarcomateuse, fasciite proliférante, fibromatose pseudo-sarcomateuse sous-cutanée et fasciite infiltrante2,3, est une prolifération fibroblastique d’apparence tumorale rare, qui a été rapportée pour la première fois en 1955, par Konwaler et ses collègues4. Bien que peu répandue, cette lésion fibreuse est bien connue et prend habituellement naissance dans les tissus sous-cutanés du tronc et des extrémités 3-7. Environ la moitié des cas déclarés se retrouvent au niveau des membres supérieurs et jusqu’à 20 % des lésions sont présentes dans la région cervico-faciale3,6,8. L’importance de cette lésion tient au fait qu’elle peut être confondue avec un sarcome5,9, due à son évolution rapide, sa riche cellularité et son activité mitotique1,3,4.

Étude de cas

Une fillette de 9 ans s’est présentée avec une tuméfaction d’apparition rapide sur la lèvre supérieure droite. La patiente souffrait d’infirmité motrice cérébrale grave et n’avait pas remarqué la lésion qui a été découverte par ses parents. Au moment de la visite, la lésion était présente depuis environ 3 semaines. À l’examen, une masse d’approximativement 1 cm de diamètre était palpable au niveau de la région commissurale supérieure. La lésion était ferme, très mobile et pouvait facilement se déplacer sous la muqueuse labiale. Aucune douleur n’était ressentie par la patiente et aucune irritation n’était visible dans la région examinée. En plus de l’infirmité motrice cérébrale, la patiente souffrait de troubles épileptiques graves et avait été hospitalisée à de nombreuses reprises pour des pneumonies. Elle prenait plusieurs médicaments, notamment des anticonvulsivants et des bronchodilatateurs.

L’ablation de la lésion fût effectuée sous anesthésie générale, par une incision au niveau de la muqueuse labiale supérieure droite (ill. 1,2). La masse fût retirée avec facilité et a fait l’objet d’un examen histopathologique (ill. 3,4).

Le spécimen consistait en une lésion à cellules fusiformes présentant, à certains endroits, un stroma myxoïde lâche. Des érythrocytes extravasés et un infiltrat inflammatoire mixte étaient également présents à travers le tissu mésenchymateux. Quelques figures mitotiques ont pu être décelées de part et d’autre du spécimen. Une coloration spéciale pour la vimentine a donné des résultats positifs, mais les colorations pour l’actine, la kératine, l’actine musculaire lisse, S-100 et la desmine ont donné des résultats négatifs. Le diagnostic final posé est celui d’une fasciite nodulaire inflammatoire.

Pathogenèse

On ignore toujours la cause exacte de la fasciite nodulaire, mais il semble que cette lésion soit le résultat d’un processus réactionnel auto-limitatif et qu’il ne s’agit pas d’un véritable néoplasme. La plupart des auteurs croient que la lésion se forme à la suite d’un processus réactionnel ou inflammatoire consécutif à un traumatisme local ou infectieux2,3,6,9,10. Stout11, par exemple, fait état d’antécédents de traumatismes chez certains de ses patients souffrant d’une fasciite nodulaire. Cependant, si le traumatisme antérieur est un facteur, alors comment expliquer que ce dernier ne soit signalé que dans 10 % à 15 % des cas et que la lésion se retrouve principalement au niveau supérieur du corps 3. Le terme «fasciite» laisse sous-entendre que la lésion prend naissance dans l’aponévrose et qu’elle est de type inflammatoire. Aucune de ces allégations n’ont toutefois été prouvées9. Bien que la cavité buccale soit sujette à des traumatismes répétés, la fasciite nodulaire intra-buccale est extrêmement rare, sans doute parce que l’aponévrose n’est pas une structure proéminente dans la cavité buccale10. D’autres lésions de ce type se manifestant dans la cavité buccale devront être évaluées, avant que le traumatisme puisse être considéré comme un facteur étiologique valable.

Résultats cliniques

C’est durant la troisième décennie que la fasciite nodulaire est la plus répandue, bien qu’elle puisse se manifester à tout âge, autant chez les hommes que chez les femmes3,11-13. La lésion se présente habituellement sous forme d’une masse des tissus mous à évolution rapide1-19, variant de 0,4 à 10,5 cm de diamètre12, mais ne dépassant habituellement pas 4 cm1,6,17. La lésion est circonscrite, mais non encapsulée, souvent mollasse pouvant se fixer aux structures adjacentes, et la peau qui la recouvre est habituellement mobile1,3,5,12,13. Il y a presque toujours des antécédents de sensibilité ou de douleur, qui sont ressentis sur une période allant de quelques semaines à quelques mois sans aucun signe de maladie systémique. Dans certains cas, on a observé une extension périneurale pouvant expliquer la douleur ressentie chez certains patients3,15. L’aspect macroscopique n’est pas un recours valable pour établir le diagnostic, car la lésion peut être située dans les tissus sous-cutanés, intramusculaires ou aponévrotiques3,5,12,13.

Bien que la fasciite nodulaire puisse se retrouver presque partout dans l’organisme, la lésion a une prédilection nette pour certaines régions anatomiques. La moitié environ de ces lésions se développent au niveau des membres supérieurs, plus particulièrement sur la face antérieure de l’avant-bras, suivi du tronc, en particulier la paroi thoracique et le dos.

La fasciite nodulaire de la tête et du cou est rare chez l’adulte, mais plus répandue chez le jeune. La région cervico-faciale est de loin le siège le plus atteint chez l’enfant. Par contre, la fasciite nodulaire touche rarement les membres inférieurs et seulement quelques cas de fasciite de la muqueuse buccale ont été rapportés3.

Le diagnostic de fasciite nodulaire exige une plus grande prudence lorsque la lésion réside au niveau de la tête et du cou3,5,9. Étant donné la rareté de cette lésion dans la région cervico-faciale, la plupart des cas ont été rapportés seuls ou par groupes de 2 ou 35,17. Des cas de fasciite nodulaire ont été signalés sur la peau du visage5, le nez1, la zone infra-orbitaire18, la glande parotide5, la muqueuse opposée à la portion apicale des dents antérieures supérieures13, l’angle mandibulaire,17 la crête mandibulaire10, la zone sous-mentonnière1,6,12, la muqueuse jugale5,8,10,15,17, la muqueuse labiale7, la région du trou mentonnier et la langue 5, ainsi qu’en association avec le muscle buccinateur14.

Comme la fasciite nodulaire se présente sous forme d’une tumeur d’apparition soudaine et d’évolution rapide, ses caractéristiques cliniques peuvent laisser croire à une affection agressive, voire même maligne. En raison de ses caractéristiques histologiques parfois alarmantes, les pathologistes ont souvent diagnostiqué cette lésion comme étant une tumeur maligne. Toutefois, on s’entend généralement pour dire que la fasciite nodulaire est une lésion bénigne et ne forme jamais de métastases3,6,9,10,17. La présence d’un certain nombre de tumeurs distinctes à cellules fusiformes peut être prise en considération, dans le diagnostic différentiel de la fasciite nodulaire (tableau 1).

Résultats histologiques

Price et ses collègues1 classifient la fasciite nodulaire selon 3 types histologiques, soit le type myxomateux, intermédiaire et fibromateux. Le type myxomateux (type 1) se caractérise par un stroma central abondant presque acellulaire, avec en périphérie des fibroblastes plus abondants et souvent renflés. Ces nodules sont assez vasculaires et les capillaires se présentent en disposition parallèle; le tableau évoque plutôt un tissu de granulation ou de réparation. Les nodules intermédiaires, plus cellulaires (type 2) contiennent davantage de fibres, lesquelles sont souvent orientées en faisceaux. De nombreux espaces en forme de fentes, et contenant souvent des érythrocytes, ont été observés, avec dispersion de lymphocytes et de macrophages. Enfin, les nodules fibromateux (type 3) sont similaires aux nodules de type 2, mais contiennent plus de collagène. De plus, les fibroblastes ont une forme plus fusiforme qu’arrondie et les fibres y sont souvent disposées en faisceaux entrecroisés; ces nodules se caractérisent par la présence de capillaires et de petites veines bien formés, plutôt que d’espaces vasculaires ressemblant à des fentes. Il convient toutefois de noter qu’aucune corrélation n’a été observée entre les types histologiques et les caractéristiques cliniques des nodules1.

Stout11 préfère le terme «fasciite pseudo-sarcomateuse» parce que cette désignation rappelle les 2 principales caractéristiques de la lésion, c’est-à-dire l’aspect sarcomateux — même si la lésion n’est pas maligne — et l’aspect inflammatoire.

Les critères indiqués ici font référence aux caractéristiques les plus utiles pour distinguer la fasciite nodulaire du néoplasme malin à cellules fusiformes. En particulier le fibrosarcome qui ne se présente habituellement pas sous la forme d’une tumeur circonscrite dont les faisceaux ont tendance à être plus longs et plus doucement incurvés, en l’absence de zone myxomateuse focale5,12. De plus, l’infiltrat inflammatoire et les globules rouges extravasés sont absents et aucun capillaire irradiant n’a été observé en périphérie. Dans les cas de fasciite nodulaire, les figures mitotiques peuvent être présentes en nombre inquiétant, mais cette caractéristique ne devrait pas, à elle seule, exclure la fasciite du diagnostic différentiel. Mis à part Price et ses collèges, aucune publication ne fait état de nécrose ou de dégénérescence centrale, phénomène observé, selon Price, dans certains cas de fasciite nodulaire de type 11. Cependant, la nécrose ou dégénérescence centrale dans la fasciite nodulaire n’a pas d’implication nuisibles.

Tous les cas de fasciite nodulaire diagnostiqués présentent le même profil immunohistochimique, d’après les réactions avec les divers marqueurs. Dans tous les cas, on a obtenu une réaction positive (variant de faible à forte) lors de la coloration pour la vimentine. L’actine musculaire lisse est présente dans les processus cytoplasmiques fibroblastiques et la coloration visant à déceler cette substance est habituellement plus intense dans les zones plus cellulaires18,19. Enfin, la coloration pour S-100 est généralement négative 19 et l’absence de réaction pour la desmine — un marqueur musculaire plus spécifique — est un autre facteur qui témoigne de la nature fibrohistiocytaire de la lésion8,18.

Discussion

Il est important de reconnaître la véritable nature de la fasciite nodulaire, pour éviter les traitements excessifs que pourraient suggérer les caractéristiques microscopiques, évocatrices d’une tumeur maligne5,6,8,9,12,13,15. La confirmation du diagnostic peut se faire par microscopie optique et par coloration immunohistochimiques courantes8,10. La fasciite nodulaire est une lésion bénigne s’agissant fort probablement d’une lésion réactionnelle, sans potentiel métastatique3,6,9,10,17. À la lumière du cas présenté, il convient de souligner que la lésion peut apparaître dans la cavité buccale et qu’elle doit, par conséquent, être prise en considération au moment d’établir le diagnostic différentiel des lésions fibreuses d’apparition récente. Presque toutes ces lésions ont pu être traitées efficacement par excision locale. La récurrence, qui est rare3,6,10 (dans 1 % à 2 % de tous les cas), se présente peu après l’excision3 et est possiblement le résultat d’une croissance continue de la lésion après ablation incomplète du tissu. Finalement, aucun traitement ne semble nécessaire dans les cas de régression spontanée.1,3,4,16


Le Dr Haddad est résident en chirurgie buccale, maxillo-faciale et anesthésie, Hôpital général de Toronto, Faculté de médecine dentaire, Université de Toronto.

Le Dr Avon est résidente en pathologie buccale et médecine buccale, Faculté de médecine dentaire, Université de Toronto.

Le Dr Clokie est chef du département de chirurgie buccale, maxillo-faciale et anesthésie, Hôpital général de Toronto, Faculté de médecine dentaire, Université de Toronto.

Le Dr Sàndor est directeur du programme de formation de cycle supérieur en chirurgie buccale et maxillo-faciale à l’Université Health Network, coordonnateur de chirurgie buccale et maxillo-faciale à l’Hôpital des enfants et au Centre Bloorview MacMillan à Toronto, et professeur adjoint à la Faculté de médecine dentaire, Université de Toronto.

Écrire au : Dr George K.B. Sàndor, Hôpital des enfants, 555, av. University, Toronto ON M5G 1X8. Courriel : gsandor@sickkids.ca

Les auteurs n’ont aucun intérêt financier déclaré dans la ou les sociétés qui fabriquent les produits mentionnés dans cet article.


 Références

1. Price EB, Silliphant WM, Shuman R. Nodular fasciitis: A clinicopathologic analysis of 65 cases. Amer J Clin Pathol 1961; 35:122-36.

2. Sato M, Yanagawa T, Yoshida H, Yura Y, Shirasuma K, Miyazaki T. Submucosal nodular fasciitis arising within the buccal area. Report of a case. Int J Oral Surg 1981; 10(3):210-3.

3. Enzinger FM, Weiss SM. Soft tissue tumors 2nd edition. St-Louis: C.V. Mosby Company; 1988.

4. Konwaler BE, Keasbery L, Kaplan L. Subcutaneous pseudosarcomatous fibromatosis (fasciitis). Amer J Clin Pathol 1955; 25:241-52.

5. Werning JT. Nodular fasciitis of the orofacial region. Oral Surg Oral Med Oral Pathol 1979; 48(5):441-6.

6. Davies HT, Bradley N, Bowerman JE. Oral nodular fasciitis. Br J Oral Maxillofac Surg 1989; 27(3):147-51.

7. Kawana T, Yamamoto H, Deguchi A, Oikawa T, Izumi H. Nodular fasciitis of the upper labial fascia: cytometric and ultrastructural studies. Int J Oral Masillofac Surg 1986; 15(4):464-8.

8. Shlomi B, Mintz S, Jossiphov J, Horovitz I. Immunohistochemical analysis of a case of intraoral nodular fasciitis. J Oral Maxillofac Surg 1994; 52(3):323-6.

9. Larsson A, Svartz K. Nodular fasciitis in the oral cavity. Int J Oral Surg 1976; 5(3):122-7.

10. Mostofi RS, Soltani K, Beste L, Polak E, Benca P. Intraoral periosteal nodular fasciitis. Int J Oral Maxillofac 1987; 16(4):505-9.

11. Stout AP. Pseudosarcomatous fasciitis in children. Cancer 1961; 14:1216-21.

12. Miller R, Cheris L, Stratigos GT. Nodular fasciitis. Oral Surg Oral Med Oral Pathol 1975; 40(3):399-403.

13. Rakower W. Fasciitis, an unusual diagnosis, and the clinician’s dilemma: report of case. J Oral Surg 1971; 29:503-6.

14. Solomon MP, Rosen Y, Delman A. Intraoral submucosal pseudosarcomatous fibromatosis. Oral Surg Oral Med Oral Pathol 1974; 28(2): 264-9.

15. Lumerman H, Bodner B, Zambito R. Intraoral (submucosal) pseudosarcomatous nodular fasciitis. Oral Surg Oral Med Oral Pathol 1972; 34(2):239-44.

16. Majumdar B. Spontaneously regressing nodular fasciitis of the neck. J Laryngol Otol 1983; 97(10):973-7.

17. Henry FA, Catone GA, Walker RV, Epker BN. Pseudosarcomatous fasciitis: Report of three cases. J Oral Surg 1969; 27:196-200.

18. Cotter CJ, Finn S, Ryan P, Sleeman D. Nodular fascitis of the maxilla in a child. J Oral Maxillofac Surg 2000; 58(12):1447-9.

19. Eversole LR, Christensen R, Ficarra G, Pierleoni L, Sapp JP. Nodular fasciitis and solitary fibrous tumor of the oral region. Tumors of fibroblast heterogeneity. Oral Surg Oral Med Oral Pathol Oral Radiol Endod 1999; 87(4):471-6.


Le Centre de documentation de l’ADC

Les membres de l’ADC peuvent emprunter une copie du manuel Differential diagnosis of oral and maxillofacial lesions, 5th ed., Norman K. Wood and Paul W. Goaz, Mosby, 1996. Pour recevoir une copie par la poste, communiquez avec le Centre de documentation, tél. : 1-800-267-6354 ou (613) 523-1770, poste 2223; téléc. : (613) 523-6574; courriel : info@cda-adc.ca.