Quand le syndrome de l’épuisement professionnel entraîne une dysthymie

• Ron Frey, PhD •

© J Can Dent Assoc 2000; 66:33-4


[Définition de la dysthymie Les options de traitement Références]

La profession dentaire est de plus en plus profondément consciente des facteurs stressants auxquels sont soumis les praticiens dentistes. Lorsqu’on ne les réprime pas, les effets du stress sur les dentistes peuvent causer le «syndrome de l’épuisement professionnel»1. En Amérique du Nord, l’épuisement professionnel est généralement attribué à une importante accumulation de stress en milieu de travail. Aussi incite-t-on les dentistes à en restreindre la quantité dans leur cabinet en corrigeant des habitudes, comme le perfectionnisme2, une gestion inefficace des patients3,4 et même une mauvaise ergonomie5, qui causent le stress. Toutefois, il y a des dentistes qui adoptent avec peu d’empressement ou trop tard des stratégies pour corriger leurs habitudes. Malheureusement pour eux, les symptômes du syndrome de l’épuisement professionnel — les troubles somatiques1, les problèmes interpersonnels, l’insomnie, l’irritabilité6 et des idées suicidaires7,8 - peuvent commencer à ressembler beaucoup plus à des troubles psychologiques de l’humeur qu’on appelle dysthymie.


Définition de la dysthymie
La dysthymie est un trouble chronique et intense de l’humeur qui se caractérise par de longues périodes de pauvre humeur et d’altération fonctionnelle. Tout comme pour le syndrome de l’épuisement professionnel, les autres symptômes de la dysthymie peuvent comprendre les sentiments suivants : manque d’adaptation, désespoir, irritabilité ou colère excessive, culpabilité, perte d’intérêt ou de plaisir généralisée, retrait social, fatigue chronique, déclin de l’activité ou de la productivité et mauvaise concentration.

La dysthymie est un trouble mental insidieux. Contrairement aux symptômes fonctionnels invalidants associés à des maladies comme une dépression majeure, les sujets atteints de dysthymie souffrent généralement d’un léger dysfonctionnement social et professionnel. Par exemple, malgré des perturbations typiques dans leur fonctionnement interpersonnel général9, on voit souvent des sujets dysthymiques travailler assidûment dans leur profession et maintenir une façade de normalité10. Mais éventuellement, en raison de son caractère chronique, la dysthymie finit par gêner le développement et le maintien de leurs relations personnelles avec leurs clients et leurs collègues de travail. Ainsi, en plus de compromettre des relations interpersonnelles étroites, la dysthymie peut entraîner la perte d’employés et de clients précieux. Un dentiste qui commence à perdre du personnel ou des patients risque de se trouver pris dans une spirale descendante entraînant des conséquences plus sérieuses.

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Les options de traitement
Pour les sujets dysthymiques diagnostiqués, le traitement peut comprendre un médicament antidépressif. Des chercheurs ont découvert que le traitement de la dysthymie avec de l’imipramine est une méthode efficace11. Toutefois, un nombre important de personnes atteintes de dysthymie ne répondent pas à un traitement avec des médicaments à cause des effets secondaires9. En outre, des experts soutiennent que les antidépressifs n’ont aucun effet antidépressif spécifique, mais que leur pouvoir clinique est dû à une combinaison d’autres facteurs comme un effet placebo amélioré, le blasement et un effet de stimulation hyperactive12. De fait, Breggin affirme que, vu les effets des antidépressifs, il peut être plus difficile pour les sujets d’éprouver leurs sentiments et de comprendre la cause de leur désespoir12.

La psychothérapie interpersonnelle (PTI) est une autre technique d’intervention9. Originellement mise au point par Klerman et Weissman13 et utilisée par le National Institute of Mental Health pour son programme de recherche concerté sur le traitement de la dépression14, la PTI est une psychothérapie individuelle fondée sur un guide, d’une durée limitée (de 12 à 16 semaines) et d’une forte efficacité de recherche15. Distinguant quatre domaines de problèmes associés à la dépression — le chagrin, les disputes interpersonnelles, les changements de rôle et les déficits interpersonnels — la PTI axe le traitement sur les difficultés dans les relations interpersonnelles.

Pour les personnes atteintes de dysthymie, la PTI — en mettant l’accent sur les relations interpersonnelles — est une thérapie qui convient particulièrement bien pour traiter les déficits interpersonnaux et le retrait social associés à ce trouble9. Plus parti culièrement, la PTI encourage les gens à essayer de nouvelles approches interpersonnelles au travail et à la maison. Imaginons, par exemple, un dentiste atteint de dysthymie qui, seul durant des années d’exercice en cabinet privé, n’a pas fait part à autrui de ses pensées, de ses sentiments et de ses conflits, de peur de faillir à ses normes professionnelles élevées et à son intégrité personnelle. À l’aide d’une analyse de la communication, de jeux de rôle et d’autres techniques, la PTI lui apprendra comment vaincre ses craintes et favoriser le développement d’un réseau interpersonnel psychologiquement nourrissant qui atténuera les symptômes de la dysthymie.

Quel que soit le type d’intervention que les personnes reçoivent pour soulager la dysthymie, il est essentiel pour elles de chercher un traitement efficace. Selon des études longitudinales, presque 80 % des personnes à qui on a diagnostiqué une dysthymie non traitée finissent par souffrir de dépression majeure comorbide16, et presque 50 % sont atteintes d’un trouble de personnalité grave17 et risquent davantage d’abuser de la drogue ou de l’alcool18. Il est donc important pour les dentistes qui subissent beaucoup de stress de reconnaître le moment où ils risquent de franchir le seuil du syndrome de l’épuisement professionnel et de tomber dans le monde de la dysthymie.

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Le Dr Frey est praticien dentiste en cabinet privé et consultant spécialisé en thérapie cognitive et interpersonnelle.

Demandes de tirés à part : Dr Ron Frey, 60, rue Cambridge N., Ottawa, ON K1R 7A5.

Les vues exprimées sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement les opinions et les politiques officielles de l’Association dentaire canadienne.

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Références
1. Brandon RA, Waters BG. Dentists at risk: the Ontario experience. J Can Dent Assoc 1996; 62:566-7.

2. Mazey KA. Habits of highly effective dentists. J Calif Dent Assoc 1994; 22:20-3.

3. Mazey KA. Stress in the dental office. J Calif Dent Assoc 1994; 22:13-9.

4. Joffe H. Dentistry on the couch. Aust Dent J 1996; 41:206-10.

5. Pollack R. Dental office ergonomics: how to reduce stress factors and increase efficiency. J Can Dent Assoc 1996; 62:508-10.

6. Zakher R, Bourassa M. Stress factors and coping strategies in the dental profession. J Can Dent Assoc 1992; 58:905-6, 910-1.

7. Scarrott D. Death rates of dentists. Br Dent J 1978; 145:245-6.

8. Simpson R, Beck J, Jakobsen J, Simpson J. Suicide statistics of dentists in Iowa, 1968 to 1980. JADA 1983; 107:441-3.

9. Mason BJ, Markowitz JC, Klerman GL. Interpersonal psychotherapy for dysthymic disorder. In: Klerman GL, Weissman MM, editors. New Applications of Interpersonal Psychotherapy. Washington, DC: American Psychiatric Press; 1993.

10. Akiskal HS. Dysthymic disorder: psychopathology of proposed chronic depressive subtypes. Am J Psychiatry 1983; 140:11-20.

11. Kocsis JH, Frances AJ, Voss C, Mann JJ, Mason BJ, Sweeney J. Imipramine treatment for chronic depression. Arch Gen Psychiatry 1988; 45:253-7.

12. Breggin PR. Toxic Psychiatry. New York: St. Martin’s Press; 1991.

13. Klerman GL, Weissman MM, Rounsaville BJ, Chevron ES. Interpersonal therapy of depression. New York: Basic Books; 1984.

14. Elkin I, Shea MT, Watkins JT, Imber, IM, Stotsky SM, Collins JF and others. National Institute of Mental Health Treatment of Depression Collaborative Research Program. General effectiveness of treatments. Arch Gen Psychiatry 1989; 46:971-82.

15. Weissman MM, Markowitz JC. Interpersonal psychotherapy: current status. Arch Gen Psychiatry 1994; 51:599-606.

16. McCullough JP, Klein DN, Shea MT, and others. DSM-IV field trial for major depression, dysthymia, and minor depression. Abstracts of the American Psychological Association Annual Meeting. Washington, DC; 1992.

17. Klein DN, Taylor EB, Harding K, Dickstein S. Double depression and episodic major depression: demographic, clinical, familial, personality, and socioenvironmental characteristics and short-term outcome. Am J Psychiatry 1988; 41:229-37.

18. Markowitz JC. Comorbidity of dysthymia. Psychiatric Ann 1993; 23:617-24.

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