La polypose adénomateuse familiale ou
syndrome de Gardner - Revue de la
littérature et présentation de deux cas cliniques

(Familial Adenomatous Polyposis or Gardner Syndrome — Review of the Literature
and Presentation of Two Clinical Cases)

Mona Karazivan, DMD, M.Sc. •
Kevork Manoukian, DMD, MBA •
Benoît Lalonde, DMD, MSD, FRCD(C) •

Sommaire

Le syndrome de Gardner représente une forme de polypose adénomateuse familiale. L’intérêt du dentiste réside dans le fait que ce syndrome se manifeste entres autres par des inclusions dentaires et des ostéomes qui, dans certains cas,
prennent des dimensions impressionnantes.

Ayant brièvement recensé la littérature, nous présentons deux cas cliniques dont un fut diagnostiqué après un examen dentaire. Le risque reconnu de transformation maligne des polypes intestinaux et rectaux associé au syndrome de
Gardner souligne l’importance d’un diagnostic précoce et d’un suivi soutenu.
Mots clés MeSH : Gardner syndrome; jaw neoplasms; tooth abnormalities

MeSH Key Words: Gardner syndrome; jaw neoplasm; tooth abnormalities

© J Can Dent Assoc 2000; 66:26-30


[Étiologie Manifestations cliniques Critères diagnostics et traitement Cas cliniques Conclusion  Références]

Le syndrome de Gardner ou polypose adénomateuse familiale (PAF) représente une forme de polypose co lique. Entre 1950 et 1954, Gardner et ses collaborateurs1,2 décrivaient un syndrome associant des ostéomes multiples (surtout des os faciaux), des kystes épidermoïdes, des fibromes de la peau, des polypes intestinaux et des tumeurs desmoïdes. Plus tard, on associa également à ce syndrome la possibilité de lipomes, de léiomyomes et d’odontomes3.

Étiologie
Le syndrome de Gardner est causé principalement par une mutation du gène Adenomatous polyposis coli (APC). Ce gène, identifié au début des années 90 par plusieurs équipes de chercheurs (Groden et coll., Joslyn et coll., Kinzler et coll., Nishisho et coll.), se trouve sur le bras long du chromosome numéro 54-7. Jusqu’à présent, plus de 200 mutations ont été rapportées. La position de la mutation au niveau de la séquence du code du gène APC peut influencer l’expression du phénotype8.

Ces mutations ou anormalités génétiques sont habituel lement transmises par un des parents, mais peuvent survenir de novo dans un tiers des cas. La transmission est autosomique dominante, la pénétrance, très élévée (de 80 à 100 %) et l’expressivité, très variable. Le syndrome de Gardner est très rare, touchant 1 sur 14,000 personnes9.


Manifestations cliniques
Au cours des années 1950, Gardner nota que plusieurs patients souffrant de polypose familiale du colon étaient aussi atteints de lésions extracoliques (p. ex., ostéomes multiples et tumeurs des tissus mous). Or, on définit maintenant mieux ses signes et ses symptômes cliniques.

Neurologie
Au niveau du système nerveux central, on remarque chez certains patients des degrés variables de retard mental.

Faciès
Des ostéomes de dimensions variables peuvent apparaître au visage, soit à la mandibule, au maxillaire ou au niveau des os frontaux et des sinus éthmoïdes. Certains patients peuvent souffrir d’une fissure palatine et labiale ou d’une luette bifide.

Dermatologie
Au niveau cutané, environ la moitié des patients souffrant du syndrome de Gardner présentent des kystes épidermoïdes, qui peuvent apparaître n’importe où sur la tête, le visage, le tronc et même les jambes. La présence de tels kystes devrait susciter un examen de dépistage du syndrome9. Ces kystes apparaissent généralement vers l’âge de 13 ans, soit avant l’apparition des polypes intestinaux. Enfin, de nouveaux kystes peuvent apparaître périodiquement.

En plus des polypes intestinaux, on observe l’apparition de tumeurs fibreuses de la peau, comme les fibromes et les tumeurs desmoïdes. La tumeur desmoïde, retrouvée chez en viron 10 % des patients souffrant du syndrome de Gardner, survient en grande partie au niveau de la cicatrice abdominale lorsqu’il y a eu résection du colon. Elle peut par contre survenir en l’absence de chirurgie. Des lipomes ou lipofibromes de la peau peuvent aussi être observés chez ces patients7,10.

Système gastro-intestinal et structures environnantes
La maladie est caractérisée par la présence de polypes adénomateux au niveau du colon et du rectum. On peut en noter aussi peu qu’une centaine et autant que quelques milliers7. Ces polypes ont définitivement le potentiel de progresser en carcinome du colon, ce qui nous porte à croire que le gène APC joue un rôle inhibiteur important dans le développement du cancer du colon. La portion terminale déficiente du chromosome 5, où se retrouve le gène APC, expliquerait la propension à développer un cancer chez les patients souffrant du syndrome de Gardner. Cette propension pourrait très bien s’expliquer par le fait que ces patients ont un nombre très élevé de polypes adénomateux et seraient donc jusqu’à quelques milliers de fois plus à risque qu’un individu n’en ayant qu’un11.

Les polypes extracoloniques sont fréquemment observés sous forme de polypes du système gastro-intestinal supérieur (exception faite de l’oesophage)12. Ces polypes sont de deux types histologiquement distincts : les polypes glandulaires fundiques et les polypes adénomateux. Bien que plus communs, les polypes glandulaires fundiques sont en fait des hamartomes et n’ont aucun potentiel malin. Par contre, les polypes adénomateux gastriques, plus rares, sont potentiel lement malins et tendent à toucher davantage les Japonais7.

Les polypes apparaissent habituellement entre 13 et 25 ans et sont associés à un risque extrêmement élevé (presque 100 %) de transformation maligne s’ils ne sont pas traités13.

Une autre particularité du syndrome de Gardner est la présence de tumeurs desmoïdes, qualifiées de fibromatoses agressives. Celles-ci découlent principalement des cellules mésenchymateuses comme celles situées au niveau des aponévroses musculaires et des fascias. Malgré une infiltration destructrice des tissus environnants, les tumeurs desmoïdes sont généralement considérées comme des tumeurs fibreuses bénignes qui ne produisent pas de métastases. Elles sont composées de cellules fibroblastiques matures et n’ont pas de capsule véritable. La pathogenèse de ces tumeurs demeure incertaine. Par contre, des facteurs traumatiques, génétiques et endocriniens ont été identifiés comme pouvant jouer un rôle14.

Les tumeurs desmoïdes peuvent apparaître à différents endroits du corps, mais se trouvent principalement dans la région abdominale, à savoir le mésentère du petit intestin ou la cavité abdominale. Malheureusement, malgré des caractéristiques histologiques bénignes, les récidives locales sont fréquentes (65 %) après une excision chirurgicale15. Si on ne les traite pas, ces tumeurs, trois fois plus communes chez les femmes que chez les hommes, peuvent mener à une morbidité locale voire à la mort.

Enfin, on a observé des léiomyomes dans la région rétropéritonéale et au niveau de l’estomac chez les patients atteints du syndrome de Gardner.

Système endocrinien
L’incidence précise des néoplasies endocriniennes chez les patients souffrant du syndrome de Gardner est inconnue, car celles-ci peuvent être non fonctionnelles ou occultes. Le carcinome papillaire de la thyroïde est la néoplasie la plus commune chez ces patients. Le ratio femme/homme dans ces cas est de 17 pour 1. La détection se fait habituellement vers l’âge de 30 ans. Enfin, ces tumeurs sont souvent multifocales16.

Système bucco-dentaire
Comme nous l’avons déjà mentionné, des ostéomes multiples (exostoses et énostoses) peuvent apparaître un peu partout au visage, affectant surtout l’os frontal, le maxillaire, l’angle de la mandibule et le bord inférieur de la mandibule. Un ostéome localisé à l’angle de la mandibule est hautement caractéristique du syndrome de Gardner7. Au microscope, cet os est mature et consiste en des systèmes de Havers bien développés. Ce syndrome est aussi associé à de multiples dents surnuméraires incluses et à des odontomes complexes (surtout près des racines des prémolaires). Souvent, l’analyse de ces tissus montre des cellules au stade actif. Enfin, on observe parfois des kystes dentifères (ou folliculaires), de l’hypercémentose et des dents surnuméraires. Quant à la protéine APC, on la trouve à différents stades du cycle de formation de l’odontoblaste17.

Toutes ces anomalies bucco-dentaires sont de 10 à 20 % plus communes chez les patients souffrant du syndrome de Gardner que dans la population en général, et 50 % de ces patients développeront au moins l’une de ces anomalies7.

Système oculaire
Une dernière caractéristique des patients souffrant du syndrome de Gardner est la présence d’hypertrophie congénitale de l’épithélium pigmentaire de la rétine18. L’examen du fond de l’oeil révèle qu’environ 90 % de ces patients en souffrent. Ces lésions maculaires sont bilatérales et multiples (de 1 à 30) et constituent un marqueur clinique spécifique et sensible du syndrome de Gardner9. Il est à noter également que certains patients souffrent d’une atrophie du nerf optique.

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Critères diagnostics et traitement
Souvent, à cause de troubles ou de retards psychomoteurs et de l’apparence faciale particulière, des analyses cytogénétiques sont pratiquées à un très jeune âge. Par contre, lorsqu’il n’y a pas de retard mental et que les deux parents sont normaux, la maladie est détectée plus tard, à l’adolescence.

Les radiographies dentaires panoramiques peuvent nous aider à établir un diagnostic si on note des lésions radiopaques à un ou aux deux maxillaires ou si on observe des dents surnuméraires et/ou incluses. Ces pathologies peuvent être observées périodiquement et ne nécessitent habituellement pas de chirurgie.

Si on soupçonne un nodule thyroïdien ou un autre pro blème au niveau de cette glande, il est conseillé d’effectuer des examens de fonction thyroïdienne, des ultrasons ou une scintigraphie16. L’examen cytologique par biopsie à l’aiguille fine pourra aider à préciser la présence de cellules atypiques.

En général, lorsqu’on soupçonne un diagnostique de syndrome de Gardner, une évaluation en gastro-entérologie est indiquée. La recto-sigmoïdoscopie aidera à confirmer la présence ou l’absence de polypes intestinaux. Ces polypes peuvent causer la diarrhée, la constipation, des douleurs intestinales ou des saignements rectaux. Si nécessaire, une biopsie de ces polypes peut être faite. Tel que spécifié auparavant, si aucun traitement prophylactique n’est prodigué, un carcinome du colon et/ou du rectum pourra se développer chez ces patients vers l’âge de 40 ans. Certains auteurs suggèrent la résection du colon dès le diagnostic établi, quel que soit l’âge du patient7. La colectomie avec anastomose iléo-rectale semble être le traitement recommandé pour les patients souffrant du syndrome de Gardner avec polypes du colon.

Pour ce qui est des tumeurs desmoïdes, puisqu’elles sont souvent invasives, l’ablation complète peut être très difficile. Certains suggèrent l’usage de médicaments, comme les anti-inflammatoires non stéroïdiens (sulindac), le tamoxifen ou l’ascorbate, afin de réduire temporairement le nombre et le volume des polypes15. La chimiothérapie et la radiothérapie sont aussi utilisées. Or, souvent, il est difficile de contrôler ces tumeurs de nature récurrente et d’incidence morbide ou même fatale.

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Cas cliniques
Cas no 1

Une patiente âgée de 57 ans fut référée par son dentiste à l’un des auteurs en consultation en médecine buccale pour un problème qu’elle qualifiait de «bosses sur sa gencive». La patiente étant complètement édentée, l’apparition et la progression de ces lésions amenèrent une instabilité des prothèses dentaires complètes. On observait, de plus, trois exostoses dans la région frontale et maxillaire.

Les deux filles de la patiente ainsi que sa soeur rapportaient les mêmes problèmes, et toutes trois étaient suivies en gastro-entérologie. La patiente avait subi une colectomie en 1978. Sa soeur ainsi que ses deux filles, âgées de 30 et 38 ans, avaient subi la même chirurgie.

L’examen extra-buccal révéla trois exostoses sur le front et une sur la joue droite (ill. 1). L’examen buccal confirma l’édentation complète et décela des lésions indurées à différents endroits (ill. 2).

L’examen radiologique (panoramique, céphalométrique ainsi que tomodensitométrique) confirma la présence d’exostoses spectaculaires atteignant les maxillaires de façon généra lisée. De plus, des ostéomes isolés furent notés à l’angle gonial, à l’arcade zygomatique du côté droit et à la tubérosité gauche (ill. 3). Les sinus ethmoïdaux et l’os frontal étaient également atteints (ill. 4).

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llustration 1 : Présence d’ostéomes dans la région frontale. Illustration 2 : Présence d’un ostéome dans la région vestibulaire inférieure droite causant un déplacement de la prothèse complète inférieure. Illustration 3 : Vue panoramique révélant la présence massive d’ostéomes et d’énostoses au niveau des maxillaires. On note également la présence d’ostéomes à l’angle gonial, à l’arcade zygomatique du côté droit et à la tubérosité gauche. Illustration 4 : Vue céphalométrique. On remarque la présence d’ostéomes au niveau frontal et aux sinus ethmoïdaux. Les lésions osseuses à l’angle de la mandibule ainsi qu’à l’arcade zygomatique sont également visibles.

La patiente fut référée en chirurgie maxillo-faciale afin de subir l’ablation des ostéomes qui interféraient avec la fonction masticatrice. Elle est suivie régulièrement en gastro-entérologie, et son état est stabilisé.

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Cas no 2

Un patient âgé de 33 ans fut référé à l’un des auteurs (KM) en consultation pour des infections reliées à des extractions dentaires. Lors de la première visite, une radiographie panoramique fut prise, qui confirma la présence d’exostoses impressionnantes (ill. 5).

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Illustration 5 : Vue panoramique. On note la présence de multiples inclusions dentaires d’odontomes ainsi que des ostéomes géants au niveau mandibulaire, et ce, bilatéralement. Illustration 6 : Présence d’un ostéome au niveau frontal gauche. Illustration 7 : La déformation dans les régions sous-maxillaires gauche et droite révéla à la palpation des masses indurées et fixées au corps de la mandibule. La vue panoramique confirma la présence d’ostéomes de dimensions impressionnantes.

L’examen extra-buccale révéla des ostéomes au niveau frontal et à la base de la mandibule, et ce, bilatéralement (ill. 6 et 7). Plusieurs lésions cutanées kystiques furent notées, dont une à la jambe droite (ill. 8). L’examen buccal démontra de nouveau la présence d’exostoses (ill. 9).

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Illustration 8 : Présence d’une lésion kystique au niveau de la jambe droite du patient. Les kystes épidermoïdes sont rarement observés à ces endroits, une caractéristique du syndrome de Gardner. Illustration 9 : À l’examen buccal, on observe une exostose dans la région prémolaire gauche.

Le patient ne rapportait aucun problème gastro-entérologique en tant que tel, et aucun membre de sa famille n’en souffrait. Le patient fut référé en gastro-entérologie, et la présence d’une polypose intestinale fut confirmé à l’examen endoscopique. Par la suite, le patient subit une colectomie et est suivi régulièrement pour la détection de lésion maligne.

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Conclusion
Nous avons présenté les caractéristiques particulières des patients atteints du syndrome de Gardner. La détection précoce de ce syndrome nous permettra de diriger les patients vers des soins spécialisés. La présentation du second cas clinique illustre bien le rôle du dentiste comme professionnel de la santé pouvant agir activement dans le cas d’une condition médicale extra-buccale. Le traitement précoce de la condition intestinale du patient a évité le développement fort probable d’une lésion cancéreuse.

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Remerciements : Nous aimerions remercier M. André Bérard et Mme Chantale Boivin pour avoir aidé à l’élaboration de cet article.

Le Dr Karazivan est prosthodontiste en pratique privée à Montréal.

Le Dr Manoukian est dentiste, co-directeur du Département de médecine dentaire, Centre hospitalier de St-Mary, Montréal.

Le Dr Lalonde est spécialiste en médecine buccale, professeur agrégé à la Faculté de médecine dentaire de l’Université de Montréal et directeur du programme de résidence multidisciplinaire (volet facultaire).

Demandes de tirés à part : Dr Benoît Lalonde, Faculté de médecine dentaire, Université de Montréal, C.P. 6128, succursale Centre-Ville, Montréal QC H3C 3J7.

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