Les inquiétudes que soulève l’accès aux soins dentaires pour les personnes âgées

Melladee F. Marvin, DMD, Dip. Pros. •

© J Can Dent Assoc 2001; 67(9):504-6


Les personnes âgées représentent le segment de la population nord-américaine qui croît le plus rapidement1,2. Leur nombre grandissant, la désinstitutionnalisation qui vient exercer une pression additionnelle sur les soins de santés communautaires1,3 et un financement gouvernemental de plus en plus limité soulèvent bien des inquiétudes quant à l’accès aux soins dentaires pour les personnes âgées1-4.

Considérations démographiques

Au Canada, 13 % de la population a plus de 65 ans1, et l’espérance de vie des personnes âgées en santé qui ont aujourd’hui 76 ans est de plus de 10 ans3.

La plupart des personnes âgées au Canada vivent de façon autonome dans la collectivité. Environ 8 % seulement vivent en institutions1,5.

Beaucoup de personnes âgées considèrent qu’elles ont des ressources adéquates à allouer à leurs soins de santé dentaires5. Une enquête sur la sécurité financière révèle que 82 % des répondants croient qu’ils auront suffisamment d’argent pour leurs vieux jours2. Une autre enquête sur les habitudes de consommation révèle que les Canadiens de plus de 50 ans dépensent plus de 70 % du revenu total discrétionnaire3.

Si les besoins en soins dentaires semblent plus élevés chez les personnes âgées que dans le reste de la population, les personnes âgées se prévalent moins de ces services. Les statistiques sur l’utilisation des soins dentaires varient grandement d’une étude à l’autre selon les différents critères d’admissibilités, mais les chiffres sont toujours bas. Parmi les personnes âgées vivant à la maison, 60 à 90 % ont signalé un besoin pour des soins dentaires, mais seulement 26 % disent consulter un dentiste au moins tous les 2 ans et 12 à 16 % n’avaient pas visité le dentiste depuis 5 ans1,2,6. Dépendamment des critères retenus, seulement 9 à 25 % des personnes âgées en institutions voient un dentiste au moins une fois l’an et 30 à 78 % d’entre elles n’ont pas visité le dentiste au cours des 5 dernières années1,2,6.

Les barrières à l’accès aux soins

La raison la plus souvent évoquée par les personnes âgées et leurs soignants pour expliquer la faible utilisation des soins dentaires est qu’ils n’en voient pas la nécessité1,2,6. Un mauvais état de santé général peut réduire l’accès aux soins. Une diminution des facultés cognitives, la prise de médicaments et une tolérance limitée aux interventions peuvent freiner le désir de consulter. L’anxiété, la crainte devant les nouvelles situations et les nouvelles méthodes peuvent avoir une influence. La personne peut hésiter à sortir en public en raison de facteurs esthétiques comme des dents manquantes. La personne âgée peut être incapable ou refuser d’être transportée à un centre de traitement. Tenter d’obtenir des soins peut sembler trop difficile pour l’individu ou le soignant. Des attitudes prennent forme au fil de l’existence; les appréhensions et les expériences antérieures quant aux visites chez le dentiste exercent toutes une grande influence sur la volonté des personnes à consulter pour obtenir des soins dentaires1.

Les coûts des soins dentaires, les coupures dans les services de santé publics et l’absence de régime de soins dentaires peuvent influencer l’accès aux soins mais ne constituent pas des obstacles majeurs. Bon nombre de personnes âgées bénéficient d’un revenu discrétionnaire suffisant pour couvrir les coûts des soins dentaires2. Une étude sur la sécurité financière des Canadiens révèle que 28 % des répondants déclarent un revenu annuel inférieur à 15 000 $; 36 % un revenu annuel de 15 000 à 60 000 $ et 32 % ont refusé de dévoiler leurs revenus2. Une autre étude a révélé que 60 % des Ontariens de 15 ans et plus souscrivent à un régime de soins dentaires1. Une troisième étude menée auprès de personnes âgées handicapées révèle que 60 % des répondants ayant un revenu annuel inférieur à 10 000 $ seraient prêts à débourser pour des soins dentaires si les coûts étaient raisonnables2.

Enfin, on constate la tiédeur des dentistes à vouloir traiter ces patients âgés. Cette tiédeur découle de la perception selon laquelle les personnes âgées n’ont ni la patience, ni l’endurance, ni les moyens de subir le traitement; ils occupent la chaise du dentiste plus longtemps et il est plus difficile de traiter ces patients1,6.

Initiatives

Il existe des normes et des règlements qui protègent et favorisent les soins dentaires auprès des personnes âgées1. Les gouvernements fédéral, provinciaux et municipaux allouent des fonds à l’éducation et aux soins dentaires; par contre, les changements fréquents de politiques gouvernementales modifient les critères d’admissibilité, la mise en œuvre et le fonctionnement des programmes. En outre, les exigences administratives coûteuses pour les soignants et les faibles remboursements qu’on leur accorde n’encouragent pas ces derniers à y recourir1.

Les associations dentaires et d’hygiène dentaire nationales et provinciales prennent de nombreuses initiatives pour aider les personnes âgées ayant des besoins particuliers. Depuis 1982, l’Association dentaire de l’Ontario a initié à elle seule au moins 7 projets, mais leur suivi en a été sporadique et inefficace, surtout en raison du manque de financement1.

Le plus souvent ce sont des individus ou des petits groupes qui vont dans la collectivité pour prodiguer des soins aux personnes âgées. Les personnes âgées autonomes consultent les dentistes et les denturologistes de leur localité suivant la formule de rémunération à l’acte. Certains dentistes, denturologistes, hygiénistes et d’autres membres du personnel clinique visitent les centres de soins de longue durée ou participent à d’autres programmes communautaires. Plusieurs sociétés et personnes prévoient des moments pour traiter les patients qui ne peuvent avoir accès au cabinet de dentiste traditionnel ou qui ne peuvent défrayer les coûts du traitement (p. ex. le Mois de la santé buccodentaire, les projets de la Saint-Valentin, etc.)

Certains hôpitaux disposent des ressources matérielles nécessaires pour traiter les personnes handicapées et les personnes en soins de longue durée. Par exemple, l’académie de Burlington, la société dentaire locale à Burlington (Ont.), s’est jointe à la clinique dentaire de l’hôpital Joseph-Brant pour traiter les patients en soins de longue durée et les autres personnes âgées vivant dans la collectivité1.

Le Collège des hygiénistes dentaires de l’Ontario recherche activement de l’aide pour soutenir ses efforts auprès des personnes âgées7. On espère créer un modèle de financement réaliste qui permettrait d’éliminer la barrière des coûts qui freine le traitement des personnes âgées1.

En Colombie-Britannique, le groupe Elders’ Link with Dental Education, Research and Service a élaboré 2 excellentes plaquettes éducatives : une destinée aux non-professionnels qui veillent aux soins dentaires préventifs auprès des aînés7, l’autre à l’intention des soignants professionnels8. Ce groupe a aussi mis au point un outil permettant une évaluation de la santé dentaire au fil du temps9. Cet outil d’abord conçu pour usage dans les centres de soins prolongés peut facilement être adapté aux besoins d’autres groupes. Il permet de faire une évaluation écrite très économique des besoins personnels de chaque patient, tout en recueillant des données statistiques utiles à l’ensemble du groupe. On peut l’utiliser pour mesurer les changements en matière de santé dentaire sur une période donnée. Les données recueillies grâce à l’évaluation des résultats thérapeutiques jouent un rôle important dans la détermination du rapport coûts-avantages des programmes destinés aux groupes.

Recommandations

Certains économistes de la santé ne partagent pas cette idée, mais il se pourrait que les ressources gouvernementales deviennent insuffisantes pour satisfaire aux besoins médicaux et dentaires de la génération vieillissante des baby boomers10. Mais quoi qu’il en soit, les structures de financement doivent être au cœur des initiatives en matière de soins de santé; leur succès en dépend. La rémunération à l’acte, les assurances privées et les modèles de financement innovateurs doivent s’intégrer aux initiatives de soins dentaires afin de seulement maintenir, sans parler d’améliorer, l’accès des personnes âgées à ces services.

L’éducation est un moyen relativement peu coûteux, mais efficace, d’aborder certains problèmes de financement. Il y a une forte corrélation entre le recours aux soins dentaires et le revenu, le niveau de scolarité et la possession d’un régime de soins dentaires. Les études déjà mentionnées révèlent que la plupart des personnes âgées sont autonomes, qu’elles ont un niveau de scolarité moyen, qu’elles ont des ressources financières suffisantes et qu’elles sont prêtes à payer pour des soins dentaires si le coût est raisonnable2.

L’éducation doit mettre l’accent sur la qualité de la vie, une des préoccupations centrales de la population vieillissante2. Une plus grande sensibilisation des patients quant à l’amélioration de l’image de soi et des rapports sociaux que procurent les soins dentaires, pourrait avoir une influence favorable sur l’utilisation des services. On doit encourager les négociateurs syndicaux à élaborer des modes de financement pour les nouveaux retraités; les travailleurs doivent allouer des ressources financières aux soins dentaires après leur retraite; il faut sensibiliser les parents et les soignants pour qu’ils profitent mieux de l’accès aux soins dentaires pour les personnes âgées.

Il faut aussi sensibiliser les dentistes et les autres professionnels dentaires. Loin de constituer une charge, les personnes âgées peuvent au contraire représenter un actif pour un cabinet. Les dentistes et les auxiliaires doivent apprendre à offrir à ces citoyens des soins dentaires opportuns, consciencieux et d’un bon rapport coût-efficacité.

Les ressources des agences gouvernementales pour le financement des programmes de soins dentaires sont peut-être limitées ou inexistantes, mais plusieurs centres de santé publique possèdent néanmoins un vaste éventail de ressources éducatives, l’expertise et la volonté de soutenir les bénévoles et les groupes communautaires qui souhaitent être actifs dans les soins de santé.

Des efforts concertés et non partisans entre les associations dentaires existantes et les agences gouvernementales peuvent aider à minimiser les coûts reliés aux soins dentaires dans les programmes communautaires et institutionnels. Il n’est pas nécessaire que ceux qui coordonnent l’accès aux soins soient des membres du personnel dentaire hautement rémunérés. Les personnes qui ont le temps, l’intérêt et les compétences en organisation, en recrutement et en collectes de fonds sont sans doute mieux placées pour coordonner les projets à l’échelle locale.

Les dentistes devraient effectuer périodiquement des examens dentaires au sein des groupes de personnes âgées. L’application d’un protocole spécifique que l’on peut répéter, comme le CODE9, permettrait d’uniformiser la méthode et d’utiliser efficacement le temps et l’expertise du dentiste. Cet outil permet d’élaborer un plan de soins pour le patient et de recueillir simultanément des données afin de rationaliser les soins dentaires futurs. L’objectif : une santé buccodentaire durable.

Les associations dentaires — nationales, provinciales et locales — doivent continuer de jouer leur rôle le plus important et le plus efficace : les manœuvres de couloirs. Elles doivent coopérer et redoubler leurs efforts de lobbying en ce qui a trait aux ressources financières de plus en plus limitées pour les soins de santé. Elles doivent continuer d’exercer des pressions pour une réglementation plus responsable des soins de santé et un meilleur accès aux soins dentaires au nom des personnes et des groupes qui dépendent d’elles et de ceux qui les appuient. 


La Dre Marvin exerce dans un cabinet spécialisé en prosthodontie et est coprésidente du programme de soins dentaires gériatriques de la Société dentaire de North Bay et district.

Les vues exprimées sont celles de l’auteure et ne reflètent pas nécessairement les opinions et les politiques officielles de l’Association dentaire canadienne.


Références

1. Ontario Dental Association. Health Policy and Government Relations Core Committee. Final Report of the Access to Care Working Group.
February 2000.

2. MacEntee MI. Dental epidemiological considerations in the elderly population. Presented at the Symposium On Aging, Osteoporosis and Dental Implants. Toronto, November 24, 2000.

3. Shay K. Dental care for older adults: clinical challenges and practical approaches. Presented at the Ontario Dental Association Annual
Meeting. Toronto, April 19-21, 2001.

4. Statistique Canada. Un portrait des aînés au Canada : troisième édition. 1998.

5. MacEntee MI. Clinical epidemiologic concerns and the geriatric prosthodontic patient. J Prosthet Dent 1994; 72(5):487-91.

6. Berkey D B, Berg RG, Ettinger RL, Merskin LH. Research review of oral health status and service use among institutionalized older adults in the United States and Canada. Spec Care Dentist 1991; 11(4):131-6.

7. Wyatt C, MacEntee M. Mouth care for persons in residential care. Elders’ Link with Dental Education and Research. Faculty of Dentistry, University of British Columbia. Copyright 1998.

8. Wyatt C, MacEntee M, Williams M. Oral health care for persons in residential care. Elders’ Link with Dental Education, Research and Service. Faculty of Dentistry, University of British Columbia. Copyright 2000.

9. MacEntee MI, Wyatt CC. An index of clinical oral disorder in elders (CODE). Gerodontology 1999; 16(2):85-96.

10. Evans RG, McGrail KM, Morgan SG, Barer ML, Hertzman C.
Apocalypse no: population aging and the future of health care systems. Can J Aging 2001; 20(Suppl 1):160-91.