Personne ne vit en vase clos

Peter B.F. Swiss, BDS, LDSRCS, DGDP (UK) •

© J Can Dent Assoc 2001; 67(8):439-40


I y a mille ans, Leif Ericson délaissait la sécurité relative de sa Scandinavie natale pour parcourir les vastes océans nordiques encore inexplorés et découvrir le Canada. Comme bien des explorateurs, Leif Ericson avait des visées spéculatives. Il voulait voir ce qui existait au-delà de l’horizon afin de peut-être y découvrir quelque chose qui lui apporterait un profit personnel et l’aiderait à conserver son pouvoir une fois revenu chez lui.

Quelque 300 ans plus tard, Marco Polo quittait le luxe et la richesse de sa ville natale de Venise pour se rendre dans la lointaine Chine et à la cour du grand Kublai Khan. Son expédition n’était pas un voyage dans l’inconnu à des fins spéculatives, mais bien une opération commerciale délibérée. Il avait entendu les récits de voyageurs évoquant une civilisation brillante et avancée et parlant de soies et de trésors fabuleux. En concurrence avec d’autres négociants et marchands, Marco Polo voulait accroître sa réputation professionnelle et sa richesse personnelle en offrant à ses clients les produits les meilleurs et les plus nouveaux possibles.

Plus récemment, au début du XXe siècle, le Dr Albert Schweitzer a renoncé au confort et au mode de vie dont il jouissait dans sa ville d’Alsace pour se rendre au Gabon dans l’ouest de l’Afrique. Il n’était motivé ni par des visées spéculatives, ni par le désir d’acquérir une richesse personnelle ou d’accroître sa réputation professionnelle. Bien au contraire, il a décidé de renoncer à son bien-être matériel parce qu’il était profondément convaincu de la nécessité d’amener la médecine occidentale dans une partie du monde délaissée qui en avait désespérément besoin.

Voilà 3 exemples des nombreuses raisons qui peuvent pousser des personnes à franchir les frontières de leur pays : la première expédition est motivée par la curiosité, par des visées spéculatives et presque entièrement par l’intérêt personnel, alors que la deuxième est guidée en partie par l’intérêt et l’ambition personnels, mais aussi par le désir d’acquérir des connaissances et des produits nouveaux pour le bénéfice des clients futurs. La troisième est presque entièrement vouée au bien d’autrui et se fait au prix de sacrifices personnels consi dé rables.

Quelques années avant que le Dr Schweitzer fonde son hôpital à Lambaréné, un groupe de dentistes réunis à Paris a convenu du besoin de tenir régulièrement un congrès international sur la dentisterie où les experts internationaux de l’heure présenteraient les techniques, les matériaux et l’équipement les plus récents et mettraient ainsi directement leurs compétences au service des dentistes du monde entier. En 1900 naissait la Fédération dentaire internationale (FDI). Ses premières réunions ont surtout attiré des personnes venues par curiosité, mais qui, de retour chez elles, ont vite compris l’importance — pour elles et pour leurs patients — de se tenir au courant des nouveautés cliniques et d’acquérir une connaissance directe des recherches, des techniques et des matériaux les plus récents élaborés à l’échelle mondiale. Les dentistes sont aujourd’hui des milliers à assister chaque année à ce congrès international dont les avantages restent aussi grands qu’il y a près d’un siècle.

Dans ma récente allocution à titre de président de la conférence nationale de la British Dental Association, j’ai insisté sur 2 questions particulièrement importantes à l’heure actuelle : premièrement, la question du changement, et en particulier de sa rapidité en ce qui concerne les matériaux, l’équipement, mais aussi le mode d’administration des soins; deuxièmement, la question de la qualité et l’augmentation des exigences et des attentes des consommateurs de plus en plus instruits et informés à l’égard des fournisseurs de services que nous sommes. Grâce à Internet, nos patients ont maintenant facilement accès à l’information et aux connaissances spé cialisées internationales et, ces dernières années, certains ont même manifesté le désir de bénéficier de traitements jugés de meilleure qualité, disponibles dans un autre pays. Si nous voulons conserver la confiance de nos patients, nous devons donc manifester notre engagement professionnel envers la formation permanente.

Dans ce contexte, la FDI a un rôle extrêmement important à jouer. Sa mission, qui consiste à promouvoir et à faire avancer l’art, la science et la pratique de la dentisterie, inclut non seulement la diffusion des recherches cliniques et des nouveautés internationales dans le cadre de congrès, de programmes de formation et de publications, mais aussi la mise en place d’un centre d’information mondial accessible aux dentistes et aux associations dentaires nationales. Comme pour tout organisme international de soins de santé, ce type d’activités ne représente toutefois qu’une partie des responsabilités globales de la FDI. Pendant trop longtemps, la Fédération a été considérée uniquement comme un «club de riches» inabordable et par conséquent très mal adapté aux besoins des personnes qui auraient pu en tirer le plus de profit. Pourtant, un changement considérable s’est produit au cours de la dernière décennie. Un fonds a récemment été créé pour soutenir les projets dentaires entrepris dans les pays en voie de développement et la FDI collabore de plus en plus avec d’autres organismes mondiaux comme l’Organisation mondiale de la santé. Une organisation dentaire internationale capable de compter sur le soutien de ses associations membres est extrêmement bien placée pour coordonner efficacement d’importants projets internationaux dans le domaine de la dentisterie.

Même si l’idée de John Donne voulant que «personne ne vive en vase clos» remonte à presque 400 ans, c’est à l’avènement des voyages par avion, de la télévision et du réseau Internet au XXe siècle que nous devons d’être devenus pour ainsi dire un «village planétaire». Les traitements plus perfectionnés réclamés par nos patients, l’évolution rapide des matériaux et des techniques dentaires, l’explosion de l’information et les besoins des pays en voie de développement posent un défi toujours plus grand aux organisations internationales de soins de santé. La FDI regroupe plus de 140 associations dentaires nationales et plus de 700 000 dentistes. Pour ces dentistes, elle représente une tribune internationale qui leur permet d’obtenir les renseignements les plus récents dans le domaine de la dentisterie et son rôle de premier plan est encore renforcé par la capacité d’Internet de diffuser les connaissances cliniques à l’échelle mondiale. Pour les personnes vivant dans les pays en voie de développement où les soins dentaires restent pratiquement inexistants, une orga ni sation internationale consciente de ses responsabilités morales envers l’humanité apporte une lueur d’espoir pour l’avenir.


Le Dr Swiss est président du comité spécial de la FDI sur la déontologie et la législation et rédacteur en chef de la publication FDI World. Il est actuellement président de la British Dental Association.

Les vues exprimées sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement les opinions et les politiques officielles de l’Association dentaire canadienne.