La dentisterie complémentaire : Une notion plus globale

Gary Fortinsky, DDS •

© J Can Dent Assoc 2001; 67:254-5


La série de 5 articles que le Dr Burton Goldstein a rédigée sur la dentisterie non conventionnelle (DNC)1-5 s’appuie sur des arguments que je qualifierai, au mieux, de spécieux, car ils sont fondés sur une compréhension erronée des traitements complémentaires (TC), de leur évolution et de leur application. L’expression «dentisterie complémentaire» (DC) m’apparaît préférable et plus logique que DNC, car la DC cadre très bien avec la pratique clinique conventionnelle.

Le Dr Goldstein ne décrit pas la philosophie qui est à la base de la DC ou de la DNC, comme il la qualifie; il ne fournit donc au lecteur impartial aucun outil pour établir des comparaisons équitables entre la dentisterie conventionnelle et la DC. Or il est important de comprendre la philosophie qui sous-tend un système de santé, quel qu’il soit, car c’est cette philosophie qui détermine l’orientation et les méthodes de traitement. Aussi m’apparaît-il injustifié de dénigrer la DC, sans en avoir examiné adéquatement les fondements philosophiques. Il est facile d’en arriver à des conclusions préétablies en ne choisissant que des preuves qui appuient et corroborent des notions préconçues, comme la fait le Dr Goldstein.

Celui-ci prétend que la dentisterie et la médecine conventionnelles sont basées sur la science. Il omet toutefois de définir la science proprement dite, se contentant de parler de la méthode scientifique1. Comment un tel commentaire peut-il se justifier en regard d’un article qui a été publié dans le British Medical Journal6 et dans lequel l’auteur dit que «seulement 15 % environ des interventions médicales s’appuient sur des données scientifiques rigoureuses... en partie du fait que seulement 1 % des articles publiés dans les revues médicales sont rigoureusement scientifiques et qu’un grand nombre de traitements n’ont jamais été évalués»?

Dans le JADC de mai 2000, le Dr Sutherland7 parle de l’importance des «soins fondés sur les faits» et elle ajoute que «ce mouvement représente un changement philosophique dans l’approche à l’exercice — un changement qui accorde plus d’importance aux faits qu’aux opinions et, en même temps, plus d’importance au jugement qu’à l’obéissance aveugle aux règlements».

Prétendre qu’un traitement n’est pas logique ou qu’il est sans fondement scientifique4 laisse sous-entendre que les connaissances scientifiques actuelles nous permettent de comprendre parfaitement le fonctionnement des phénomènes naturels. Cependant, un traitement qui s’écarte des pratiques établies ne constitue pas pour autant un mauvais traitement — pareil raisonnement témoigne d’un manque de compréhension des principes scientifiques et d’une ignorance totale des autres mécanismes.

La recherche est là pour nous permettre d’approfondir notre compréhension des divers phénomènes. Le Dr Goldstein déclare que l’homéopathie4 viole une loi fondamentale de la chimie; cependant, il poursuit sa réflexion dans le paragraphe suivant en citant une recherche8 (consistant en une méta-analyse de 89 essais contrôlés contre placebo) selon laquelle les effets cliniques de l’homéopathie ne peuvent être attribuables à l’effet placebo4. Pourquoi ne pas admettre tout simplement que nous sommes en présence d’un phénomène nouveau qui mérite d’être examiné plus à fond? Parler de soins de santé irrationnels est extrêmement improductif.

Selon le raisonnement du Dr Goldstein, l’autorisation d’exercer est-elle la preuve réelle d’une formation et d’un exercice scientifiques adéquats? À l’inverse, l’absence d’autorisation est-elle nécessairement la preuve d’une formation inadéquate? N’est-il pas préjudiciable et sans fondement scientifique de qualifier de charlatan une personne qui exerce des méthodes complémentaires, lorsqu’on ne connaît rien de ces pratiques (on trouve dans chaque profession des personnes qui ne respectent pas leur code de déontologie)? Combien de fois contestons-nous une idée avant, finalement, de la comprendre? Il n’est pas nécessaire d’adopter les nouvelles méthodes de traitement; il suffit d’admettre qu’il existe différents moyens de guérir.

De nombreux médecins conventionnels ont découvert les vertus des TC après y avoir consacré temps et efforts. Servant eux-mêmes souvent de cobayes, ils ont observé des phénomènes qui les ont amenés à adopter de nouvelles approches de traitement qui leur sont apparues à la fois efficaces et sans danger, autant pour prévenir que pour guérir.

Dans son article1, l’auteur déclare que les tenants de la DC et de la médecine complémentaires (MC) nient la nécessité des essais scientifiques. Or les ouvrages classiques sur l’homéopathie, la thérapie cranio-sacrée ou l’acupuncture expliquent les recherches approfondies sur lesquelles s’appuient ces sciences9,10. Bien sûr, les recherches doivent se poursuivre pour en définir les applications. Cependant, je ne vois pas la nécessité de procéder à des études à double insu pour découvrir l’existence de la pulsation cardiaque ou de la mobilité des os crâniens.

Il est de ces phénomènes que la science ne peut expliquer. Pourquoi, par exemple, la gravité existe-t-elle? Nous savons qu’elle existe car nous en ressentons les effets. Lorsque nous tenons le poignet d’une personne ou auscultons sa poitrine, nous décelons le battement du cœur. Si les sceptiques observaient un praticien qui a recours à des TC, ils verraient de première main les phénomènes qui se passent et constateraient les bienfaits que la «science moderne» choisit d’ignorer. Cette attitude de négation est empreinte de partialité, d’indolence et d’apathie. Il est beaucoup plus facile d’adopter les pratiques de ses collègues et d’obtenir ainsi leur appui que de renoncer à la tranquillité d’esprit pour se lancer dans l’inconnu.

Il m’attriste de voir que le patient, dont les besoins devraient pourtant avoir la priorité, semble au contraire venir au dernier rang, alors que l’ego du praticien conventionnel semble souvent arriver au premier rang. Le praticien conventionnel dira peut-être qu’il n’a pas à se préoccuper d’une technique qu’il ne connaît pas ou qu’il ne comprend pas, lorsqu’il obtient des résultats autrement.

Malgré cette attitude, de plus en plus de patients explorent d’autres options pour y trouver l’aide que ne leur procurent pas les soins conventionnels. Dans la partie II, l’auteur déclare : «Comme le public général manque de formation et de connaissances scientifiques, il doit avoir confiance dans les professionnels de la santé2». Au contraire. Les patients sont aujourd’hui des consommateurs avisés, qui prennent en main leur santé et s’attendent à obtenir des réponses intelligentes à leurs questions, afin de pouvoir ensuite faire des choix éclairés. Le paternalisme ne fonctionne plus. L’auteur poursuit en disant qu’il «est difficile d’expliquer pourquoi les gens croient en quelque chose qui n’est ni scientifique, ni logique, ni normal» 2. Cette remarque est à la fois insultante et outrageuse et n’a pas sa place dans une revue scientifique, révisée par des pairs. Plaider l’ignorance d’un système qui diffère radicalement du sien et douter de son authenticité est une chose. Écarter ouvertement ces pratiques, ainsi que les millions de praticiens et de patients qui les utilisent, en est une autre. Jamais, l’auteur ne dit avoir fait des études dans un domaine quelconque de la DC ou de la MC. Le Dr Goldstein ajoute dans la partie II que «La science ne peut être niée, mais elle peut être ignorée». L’inverse pourrait aussi être vrai.

La MC et la DC s’appuient sur l’usage de médicaments qui procurent des effets bénéfiques reconnus, mais dont on ignore toujours le mode d’action. Cela n’empêche pas que leur usage soit très répandu. La société doit-elle attendre que la science en fournisse les explications? En réalité, il arrive souvent que la science ne puisse expliquer ni le pourquoi (du moins pas encore) ni le comment. Les lois de la physique peuvent souvent expliquer comment appliquer une formule, sans être en mesure d’expliquer pourquoi un phénomène se produit. Bien que les pratiques non conventionnelles se soient avérées très efficaces pour traiter les nourrissons et les animaux lorsque l’effet placebo ne s’applique pas, les autorités n’ont démontré pratiquement aucun intérêt à pousser plus loin l’examen de cette voie. Il est important de souligner que la recherche scientifique fondamentale sert d’assises à l’avancement de la MC et de la DC.

Le modèle à double insu utilisé pour les essais cliniques (lesquels sont conçus pour le traitement de populations) ne s’applique pas dans tous les cas. Lorsqu’une approche de traitement différente est utilisée (traitement de la personne) pour la DC et la MC, il devient nécessaire de modifier le protocole d’essai en conséquence, pour tenir compte de cette autre philosophie. De plus, bon nombre des thérapies complémentaires comportent des traitements prodigués avec les mains pour lesquels même la méthode à simple insu ne pourrait être appliquée, car le praticien doit connaître à fond l’application du traitement et l’état qu’il vise à traiter.

Quel que soit le domaine médical — conventionnel ou complémentaire — il importe que les chercheurs possèdent un certain niveau de compétence dans le domaine. Avec les connaissances appropriées, un esprit critique pourra réaliser des recherches pertinentes. Il faudrait aussi évaluer avec soin la documentation actuelle, car certains ouvrages sont l’œuvre de personnes ayant une formation inadéquate. Nous sommes également en droit de douter des compétences du comité d’examen par les pairs qui évalue les traitements non conventionnels, car très peu de médecins ou de dentistes possèdent quelque connaissance des diverses spécialités complémentaires.

Tous les praticiens qui dispensent des TC ont leur propre organisme et des publications qu’ils peuvent consulter pour approfondir le champ de leurs connaissances. Les praticiens conventionnels, eux, exploitent rarement ces sources d’information. Les «professionnels» n’acceptent pas facilement les «nouvelles techniques», dites fondées sur des données scientifiques. Ainsi, combien de femmes ont continué de mourir des suites de l’accouchement, avant que la profession médicale n’accepte de modifier ses pratiques, même après que le Dr Lister eut exhorté les médecins à se laver les mains et à appliquer des normes d’hygiène appropriées? Comme le disait Goethe, «Vous ne voyez que ce que vous savez».

Les systèmes de santé conventionnel et complémentaire diffèrent, mais ils peuvent réellement se compléter lorsqu’on exploite pleinement les avantages de chacun et que l’on tient compte de leurs limites respectives. J’exhorte la profession à s’ouvrir les yeux et à prendre conscience que d’autres méthodes de soins, bien appliquées par des praticiens qualifiés, ne peuvent qu’être salutaires pour tous.


Le Dr Fortinsky exerce dans un cabinet privé à North York (Ont.).

Les vues exprimées sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement les opinions et les politiques officielles de l’Association dentaire canadienne.


Références

1. Goldstein BH. La dentisterie non conventionnelle : Partie I. Introduction. J Can Dent Assoc 2000; 66(6):323-6.

2. Goldstein BH. La dentisterie non conventionnelle : Partie II. Les praticiens et les patients. J Can Dent Assoc 2000; 66(7):381-3.

3. Goldstein BH. La dentisterie non conventionnelle : Partie III. Les questions de droit et de réglementation. J Can Dent Assoc 2000; 66(9):503-6.

4. Goldstein BH, Epstein JB. La dentisterie non conventionnelle : Partie IV. Les pratiques et les produits dentaires non conventionnels. J Can Dent Assoc 2000; 66(10):564-8.

5. Goldstein BH. La dentisterie non conventionnelle : Partie V. Les questions, les préoccupations et les usages d’ordre professionnel. J Can Dent Assoc 2000; 66(11):608-10.

6. Smith R. Where is the wisdom…? BMJ 1991; 303(6806):798-9.

7. Sutherland SE. Les assises de la dentisterie fondée sur les faits. J Can Dent Assoc 2000; 66(5):241-4.