«Penser mondialement, agir localement»

Martin H. Hobdell, BDS, MA, PhD •

© J Can Dent Assoc 2000; 66:142-3


 

Le titre de cet article est tiré du Rapport sur le développement dans le monde 1998 du Programme des Nations Unies pour le développement parce que, aujourd’hui, beaucoup de dossiers dentaires locaux ne peuvent être entièrement compris sans qu’on ne les examine dans le contexte de l’économie mondiale.

L’utilisation actuelle du terme mondialisation de l’économie indique simplement l’étendue avec laquelle toutes les économies nationales sont devenues intimement liées. Certains événements économiques contemporains ont poussé la mondialisation de l’économie : la crise de la dette du Tiers-Monde et l’élaboration de programmes d’ajustement structurel par le Fonds monétaire international et la Banque mondiale pour y remédier ont rapproché beaucoup d’économies nationales. L’adoption de politiques économiques néolibérales par les pays industrialisés a entraîné l’abolition du contrôle des changes. Aussi, les progrès en technologie des communications signifient que le capital peut maintenant être déplacé d’un état à un autre plus vite et que les changements encourus dans une économie peuvent désormais se refléter dans d’autres presque instantanément.

Parallèlement à ces changements économiques s’est déroulé le processus politique qui termina la guerre froide. L’Union soviétique n’existe plus, et les intérêts nationaux et transnationaux des entreprises de l’Ouest conditionnent et façonnent aujourd’hui le fonctionnement de l’économie mondialisée.

La mondialisation de l’économie et la santé bucco-dentaire

Un résultat notable de la mondialisation de l’économie a été l’élargissement du fossé entre les riches et les pauvres, à la fois entre les pays et au sein des pays. Or, il serait erroné d’accuser cette mondialisation ou un des facteurs déjà identifiés comme étant la seule cause de cet élargissement. Néanmoins, les politiques économiques actuelles semblent bien avoir contribué à l’augmentation du nombre de personnes vivant actuellement dans la pauvreté absolue et relative. On a grandement prouvé que la croissance de la pauvreté nuit à la santé publique. La santé bucco-dentaire n’échappe pas à de telles influences.

Les facteurs principaux de plusieurs états bucco-dentaires semblent avoir une base socio-économique sur laquelle la mondialisation de l’économie pourrait influer. Ces états comprennent le cancer de la bouche, la gangrène de la bouche (noma), les caries dentaires et les maladies parodontales.

Le cancer de la bouche

L’incidence du cancer de la bouche semble accroître dans plusieurs parties du monde. Cet accroissement est particulièrement inquiétant en raison du grand pourcentage de la population mondiale dans les pays en voie de développement (80 %) et du manque relatif de services et d’installations de détection et de traitement dans ces pays1. Toute réduction des services déjà inappropriés ne peut qu’empirer la situation. Des lois restrictives sur le tabac dans beaucoup de pays industrialisés, la réduction du contrôle des changes et la facilité du transfert des capitaux font des pays en voie de développement un marché de plus en plus attrayant pour les fabricants du tabac.

La gangrène de la bouche

La gangrène de la bouche ou noma est, depuis de nombreuses années, connue pour avoir une grande incidence dans les communautés pauvres. Dans les collectivités où la gingivite ulcéronécrotique (GUN) et la noma sont étudiées, on suggère qu’actuellement le nombre de cas augmentent2. Pour le moment, la preuve est indirecte, et il est une fois encore difficile d’isoler les effets de la mondialisation de l’économie d’autres facteurs, comme la guerre et la sécheresse.

Les caries dentaires

Une étude récente a révélé qu’il existe une corrélation relativement faible mais significative entre l’Indice du développement humain (IDH) d’un pays et l’incidence de caries dentaires rapportée chez les jeunes de 12 ans. De plus, on a identifié des liens entre plusieurs indicateurs utilisés dans la compilation de l’IDH et des caries dentaires : la croissance du produit national brut par habitant, la durée moyenne de scolarité, le taux de mortalité infantile et la mortalité des jeunes de moins de cinq ans3.

Les maladies parodontales

On a rapporté récemment des liens semblables entre la parodontite progressive (moyenne de 4 par sextant, selon l’indice CPITN de l’Organisation mondiale de la santé, par exemple), l’IDH et la durée moyenne de scolarité, le taux de mortalité infantile et le taux de mortalité des jeunes de moins de cinq ans4.

De fait, on a quelque peu démontré que les taux élevés de caries dentaires et de parodontie progressive sont liés aux taux élevés de pauvreté et aux faibles taux de développement socioéconomique, tels que définis par ces paramètres, qui seraient susceptibles aux changements économiques mondiaux. Mais ce lien n’est pas une relation linéaire simple, du moins pour les caries dentaires. Les données de l’Organisation mondiale de la santé, par exemple, montrent clairement que le plus gros problème en matière de prévalence des caries dentaires réside dans les pays au revenu moyen qui vivent une transition économique5.

L’impact sur la pratique dentaire

On suggère que l’impact de la mondialisation de l’économie vraisemblablement aura deux effets principaux : le visage des maladies bucco-dentaires changera et, par là, la pratique de la dentisterie. Selon les preuves à l’appui, les cas de maladies bucco- dentaires de types variés dans différents pays augmenteront suivant le niveau de développement socioéconomique du pays (et non seulement la taille de son économie). La santé bucco-dentaire dans les pays en transition économique, qui montrent aussi bien une croissance économique qu’un développement, sera la plus touchée. Pour les dentistes qui servent les groupes de la population dont le statut économique s’améliore grâce à la mondialisation de l’économie, la pratique des soins dentaires facultatifs, sophistiquée comme partout ailleurs dans le monde, deviendra une possibilité, peut-être même une nécessité. Pour les dentistes qui servent les groupes dont le statut de pauvreté découle de la mondialisation de l’économie ou dont le revenu reste simplement au niveau de subsistance, l’avenir n’a guère d’issue, à moins qu’ils adaptent leur pratique et répondent différemment aux besoins bucco-dentaires croissants et sans doute changeants.


Le Dr Hobdell est professeur et directeur du Département de la santé publique dentaire et de l’hygiène dentaire au Centre des sciences de la santé, Division dentaire, Université du Texas (Houston).

Les vues exprimées sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement les opinions et les politiques officielles de l’Association dentaire canadienne.


Références

1. Johnson NW. A global view of the epidemiology of oral cancer. In: Johnson NW, editor. Risk markers for oral diseases. Cambridge: Cambridge University Press; 1991. Vol. 2: p. 3-27.

2. Ndiaye FC, Bourgeois D, Leclercq MH, Berthe O. Noma: public health problem in Senegal and epidemiological surveillance. Oral Dis 1999; 5:163-6.

3. Hobdell MH, Lalloo R, Myburgh NG. The Human Development Index and per capita Gross National Product as predictors of dental caries prevalence in industrialized and industrializing countries. Ann N Y Acad Sci 1999; 896:323-31.

4. Hobdell MH, Narendran S, Jen D. The Human Development Index and per capita Gross National Product as predictors of periodontal disease prevalence in industrialized and industrializing countries. J Dent Res 2000; 79:581.

5. Lalloo R, Myburgh NG, Hobdell MH. Dentalcaries, socio-economic development and national oral health policies. Int Dent J 1999; 49:196-202.