La dentisterie non conventionnelle : Partie V. Les questions, les préoccupations et les usages d’ordre professionnel

Burton H. Goldstein, DMD, MS, FRCD(C) •

Sommaire

Voici le dernier d’une série de cinq articles offrant un aperçu contemporain et une introduction à la dentisterie non conventionnelle (DNC) et sa corrélation avec la médecine non conventionnelle (MNC). La DNC et la MNC constituent toutes deux d’importants sujets de préoccupation pour les professionnels de la santé et pour le grand public. Les préoccupations professionnelles comprennent les risques pour le praticien et le patient. La DNC préoccupe particulièrement à cause des effets nocifs que peuvent causer les procédures dentaires invasives. Néanmoins, comme des pratiques de la DNC peuvent faire du bien au patient, on suggère à l’intention des praticiens de la DNC des directives et des points à examiner dans les prises de décision.

Mots clés MeSH : alternative medicine; dental care; dentistry

© J Can Dent Assoc 2000; 66:608-10
Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.


Les articles précédents de cette série ont démontré que la dentisterie non conventionnelle (DNC) et la médecine non conventionnelle (MNC) sont des sujets hétérogènes suscitant toutes sortes d’attitudes dans les professions dentaire et médicale et dans le public. Aux États-Unis et au Canada, une majorité des facultés de médecine enseignent maintenant la MNC1,2. Les facultés de médecine dentaire vont sûrement les imiter. Des sociétés planétaires et des cultures contemporaines ont embrassé la DNC et la MNC, et la collectivité scientifique a commencé à étudier des pratiques non conventionnelles afin de déterminer ce qui est sécuritaire et efficace. Les avantages comprennent une compréhension accrue de la biologie et de meilleurs soins aux patients. La médecine et la dentisterie conventionnelles peuvent tirer des leçons de la DNC et de la MNC, et celles-ci doivent apprendre et accepter la méthode et les normes scientifiques de la pratique conventionnelle.

Les préoccupations d’ordre professionnel

Alors que la médecine et la dentisterie scientifiques font des progrès spectaculaires, on assiste de plus en plus à la promotion et à l’acceptation de pratiques irrationnelles et non éprouvées. Des praticiens conventionnels ont exprimé de nombreuses inquiétudes vis-à-vis des risques et des effets nocifs pour le patient ainsi que des risques pour les professionnels (Tableau 1). Ces préoccupations et les coûts de santé qu’elles entraînent ont suscité des projets de recherche et des études scientifiques. En général, des résultats pratiques valables s’appuyant sur des études publiées sont obtenus avec le temps.

La DNC «parallèle» et «intégrative»

Quels sont les produits et les services dentaires qui peuvent être associés à la dentisterie conventionnelle ou même y être substitués? Toute décision de ce genre est nécessairement complexe et particulièrement difficile à prendre en l’absence de preuves scientifiques. Les pratiques non conventionnelles doivent être étudiées pour connaître les preuves scientifiques pouvant déjà exister et s’appliquer adéquatement aux besoins particuliers des patients. Lorsque des preuves scientifiques d’effets nocifs et d’inefficacité existent, les pratiques doivent être rejetées. La capacité d’accès à un large éventail d’informations exige maintenant des recherches documentaires et informatisées faites avec discernement. Le praticien doit déterminer clairement les objectifs à atteindre et, ce faisant, analyser les voeux et les besoins du patient. Il doit essayer de minimiser les risques et être disposé à accepter toute responsabi lité professionnelle lorsqu’il prescrit, offre ou recommande la DNC. Les dentistes ont envers leurs patients une obligation qui dépasse leur intérêt personnel.

Ces décisions exigent un esprit critique, un examen judicieux et un praticien éclairé au courant des connaissances scientifiques qui, aujourd’hui, évoluent et s’accroissent rapidement. Dans bon nombre de cas, seulement des informations anecdotiques ou commerciales et tendancieuses sont disponibles, ce qui laisse le praticien dans une situation difficile — prendre des décisions sans preuves scientifiques et s’en remettre à une information et à une intuition douteuses. Parce que de nombreuses pratiques de la DNC ont trait à des troubles médicaux et peuvent comprendre des procédures invasives, tous les dentistes offrant des services non conventionnels doivent connaître les normes de pratique qui s’imposent et s’y conformer (Tableau 2).

Les processus décisionnels pour la DNC

Les affections communes qui sont souvent associées à la DNC sont des troubles chroniques ou récurrents comme la douleur chronique (PTM, fibromyalgie, arthrite auto-immune) et des affections graves pouvant être mortelles comme la sclérose en plaques et le cancer. Toute affection incurable ou associée à des effets indésirables graves à la suite de traitements conventionnels peut créer un patient malheureux, désespéré ou rebelle qui soit disposé à croire à des procédés promus comme étant simples et efficaces, surtout lorsqu’on lui accorde une attention personnelle empreinte de bienveillance — contrairement au modèle impersonnel de la médecine et de la dentisterie conventionnelles.

Repérer les patients qui ont recours à la DNC et à la MNC exige du temps et la capacité d’obtenir d’eux des renseignements pertinents. On doit leur demander s’ils ont recours à la MNC, s’ils consomment des médicaments vendus sans ordonnance ou des remèdes «naturels», quelles sont leurs attentes vis-à-vis de ces thérapies et leurs raisons pour y recourir. Les dentistes doivent encourager les patients dans leurs choix et peuvent leur être utiles en les éclairant au sujet des soins dentaires complémentaires pouvant être profitables pour chacun. Ils peuvent refuser de leur offrir des soins qu’ils jugent inopportuns, mais continuer à leur conseiller des choix appropriés.

Les avantages de la DNC

Par définition, il n’y a aucun avantage scientifiquement prouvé de la DNC — les pratiques scientifiquement prouvées ne sont pas non conventionnelles. Toutefois, des multitudes de patients avec ou sans problèmes de santé perçoivent des avantages incontestables dans la MNC et la DNC. Les spéculations touchant les raisons de ces croyances et de ces perceptions varient des mécanismes théoriques inconnus ou non prouvés d’effets psychologiques au romantisme. La plupart des observateurs offrent des explications psychologiques lorsque les patients trouvent des avantages dans la MNC. L’effet placebo est reconnu comme un important facteur dans la médecine et la dentisterie conventionnelles3. Des sources l’évoquent comme le principe thérapeutique unique de la MNC4. Des données récentes ont documenté une meilleure qualité de vie pour des patients atteints de la sclérose en plaques ayant recours à la MNC5, illustrant la nécessité de reconnaître l’expérience globale du patient face à sa maladie et fournissant une preuve limitée d’un avantage provenant de la MNC.

Les preuves scientifiques démontrant les avantages de la DNC font défaut. Les récits anecdotiques et les promotions commerciales abondent sans fournir des preuves d’efficacité réelles. Tout effet placebo obtenu en DNC peut donner au patient la perception d’un avantage qui ne doit pas être banalisée. Les dentistes peuvent considérer les avantages répertoriés des traitements non éprouvés mais réversibles et inoffensifs pour des patients particuliers. L’objectif principal du praticien de la santé est d’aider le patient. Lorsque, dans des cas particuliers, des traitements non éprouvés ne sont pas physiquement, mentalement ou financièrement nocifs et sont jugés efficaces, les dentistes peuvent y trouver une justification suffisante pour y avoir recours. Certaines pratiques de la DNC peuvent être moins coûteuses que d’autres traitements.

Il faut comprendre le cours normal d’une maladie ou d’une affection parce que bon nombre d’entre elles varient et peuvent s’améliorer avec le temps sans que l’amélioration soit reliée à une intervention. Toutefois, les pratiques dentaires invasives peuvent ne pas être reliées à des affections médicales et peuvent directement ou indirectement causer du tort et compromettre davantage le fragile équilibre de la santé et du bien-être d’un patient. Les dentistes doivent faire preuve de prudence en recourant à la DNC.

Exemple — le traitement non conventionnel d’un PTM

Le «dysfonctionnement de l’articulation temporo-mandibulaire» est un domaine bien reconnu tant des pratiques non conventionnelles que du charlatanisme éhonté6. Malgré les progrès de la science et la compréhension actuelle de la plupart des problèmes temporo-mandibulaires (PTM) comme étant des douleurs chroniques d’ordre biopsychosocial et non dentaire7, la promotion de méthodes non éprouvées continue de proliférer. Ainsi, selon une source contemporaine, la médecine chinoise traditionnelle considère le PTM comme un problème «mécanique» ainsi qu’une «source de désordre énergétique entre le yin et le yang» qu’on évalue en mesurant la longueur des jambes afin de déterminer le côté du dysfonctionnement de l’ATM et qui nécessite un «alignement vital» de celle-ci par une manipulation de la mâchoire suivant un protocole d’acupuncture/acupressure durant un an8.

Contrairement à la médecine, la dentisterie se penche surtout sur des affections structurales qui sont traitées suivant des modes physiques, et les problèmes sont ordinairement guéris tel qu’il est prévu. Cependant, les gens se présentent tant chez les dentistes que chez les médecins avec des affections bucco-faciales complexes qui, comme le PTM, ne sont pas d’ordre structural ou facilement guéries; celles-ci peuvent ressembler à des problèmes structuraux pour lesquels il y a des traitements structuraux adéquats et qui demandent un diagnostic précis afin d’éviter des traitements inopportuns.

Parce que les dentistes sont principalement formés pour diagnostiquer et traiter des problèmes dentaires structuraux, ils peuvent avoir de la difficulté à traiter avec efficacité des problèmes non structuraux et non dentaires se présentant comme des douleurs bucco-faciales. Lorsqu’un dentiste ne peut pas convenablement se charger des problèmes et des préoccupations d’un patient, celui-ci peut perdre confiance et chercher de l’aide et des conseils auprès de sources se situant à l’extérieur de la pratique dentaire scientifique traditionnelle. En outre, la tentation d’offrir des procédures dentaires coûteuses pour des affections non den taires peut être grande dans la société actuelle. Les traitements dentaires peuvent causer des torts iatrogènes au lieu d’être simplement efficaces ou de coïncider avec une amélioration. On a démontré que la thérapie dentaire la plus répandue pour le PTM, l’attelle occlusale, a un effet placebo important9. Des études ont démontré qu’il n’y a aucun fondement scientifique pour expliquer l’efficacité clinique des attelles pour le PTM10,11. Pourtant, certaines thérapies à l’aide d’attelles visent à causer des changements irréversibles nécessitant des soins dentaires considérables et dispendieux pour être corrigés12. Le traitement du PTM doit, à tout le moins, être conservateur et réversible7.

Le traitement dentaire du PTM est un exemple dans lequel le soin conventionnel d’une affection est plus conservateur, plus sûr, moins invasif et moins coûteux que la DNC. Compte tenu des connaissances contemporaines fondées sur la science, certaines pratiques dentaires pour le PTM peuvent, en DNC, être frauduleuses.

Conclusions

On donne aux cancéreux le conseil suivant : «Si les thérapies parallèles peuvent vous faire sentir mieux physiquement et psychologiquement, ayez-y recours. Mais comprenez qu’il est possible que rien ne prouve que ces thérapies sont sûres et efficaces et que les thérapies éprouvées offrent encore le meilleur espoir. Méfiez-vous surtout des guérisons revendiquées; la médecine traditionnelle fait d’énormes efforts pour trouver des remèdes contre le cancer.»13 Un tel conseil vaut pour tout patient qui songe à la MNC pour combattre une affection incurable pouvant être mortelle. Cependant, la majorité de ceux qui ont recours à la DNC ne sont pas dans des situations qui les mettent en péril, et les praticiens de la santé autorisés ont le devoir de conseiller et de guider les patients sur la réduction des torts et des risques et la maximalisation des avantages possibles attachés à tout traitement.

Les mauvais soins dentaires ont toujours constitué un problème, mais les incidences de mauvais diagnostics, de sur- traitements et d’applications de techniques non fondées et réfutées sont à la hausse14. La DNC invite la profession dentaire à faire face aux questions qui se posent en faisant preuve d’intégrité et de responsabilité professionnelles. Il se peut que, dans des circonstances particulières, elle offre un espoir restreint pour des affections spécifiques. Les dentistes doivent surtout se montrer prudents en raison des possibilités connues de tort causé par les soins non conventionnels en général et par les procédures dentaires non éprouvées en particulier, lesquels peuvent compromettre davantage la qualité de vie d’une personne. La gamme des complications connues qui, en dentisterie, peuvent amplifier les souffrances physiques et psychosociales d’une personne vulnérable comprend causer de la douleur, modifier la capacité de manger et prolonger ou empirer une affection médicale non reliée. Les dentistes doivent être bien informés au sujet de la MNC et de la DNC afin de pouvoir exercer avec compétence, efficacité et respect de l’éthique.


Remerciements : L’auteur remercie le Dr Joel Epstein pour ses commentaires utiles et ses précieuses contributions.

Le Dr Goldstein est professeur agrégé de clinique à la Faculté de médecine dentaire de l’Université de la Colombie-Britannique.

Écrire au : Dr Burton H. Goldstein, 208-2223, Broadway O., Vancouver, BC V6K 2E4. Courriel : burtgold@unixg.ubc.ca.  

Les vues exprimées sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement les opinions et les politiques officielles de l’Association dentaire canadienne.


Références

1. Wetzel MS, Eisenberg DM, Kaptchuk TJ. Courses involving complementary and alternative medicine at US medical schools. JAMA 1998; 280:784-7.

2. Ruedy J, Kaufman DM, MacLeod H. Alternative and complementary medicine in Canadian medical schools: a survey. CMAJ 1999; 160:816-7.

3. Epstein, JB. Understanding placebos in dentistry. JADA 1984; 109:71-4.

4. Happle R. The essence of alternative medicine. A dermatologist’s view from Germany. Arch Dermatol 1998; 134:1455-60.

5. Husted C, Pham L, Hekking A, Niederman R. Improving quality of life for people with chronic conditions: the example of t’ai chi and multiple sclerosis. Altern Ther Health Med 1999; 5:70-4.

6. Berry JH. Emphasis. Questionable care : what can be done about dental quackery? JADA 1987; 115:679-85.

7. Goldstein BH. Temporomandibular disorders: a review of current understanding. Oral Surg Oral Med Oral Pathol Oral Radiol Endod 1999; 88:379-85.

8. Aung SK. The treatment of temporomandibular joint dysfunction & distress: a Chinese traditional medical approach utilizing acupuncture, massage and manipulation. Am J Acupuncture 1996; 24:255-67.

9. Greene CS, Laskin DM. Splint therapy for the myofascial pain- dysfunction (MPD) syndrome: a comparative study. JADA 1972; 84:624-8.

10. Marbach JJ, Raphael KG. Treatment of orofacial pain using evidence-based medicine: the case for intraoral appliances. In: Campbell, J.N. (ed) Pain 1996 - An Updated Review. Refresher course syllabus. Seattle: IASP Press; 1996:413-22.

11. Dao TT, Lavigne GJ. Oral splints: the crutches for temporomandibular disorders and bruxism? Crit Rev Oral Biol Med 1998; 9:345-61.

12. Gelb H. Effective management and treatment of the craniomandibular system. In: Gelb H, editor. Clinical management of head, neck and TMJ pain and dysfunction. 2nd ed. Philadelphia: W.B. Saunders Co.; 1985. p. 325-33.

13. Disponible à l’adresse URL : http://www.nutritionnewsfocus.com/archive/CompMedCanc.html   (Consulté le 6 juillet 1999).

14. Disponible à l’adresse URL : www.acsh.org/publications/priorities/1002/milcare.html   (Consulté le 4 janvier 2000). 

15. Zollman C, Vickers A. ABC of complementary medicine: complementary medicine and the doctor. Brit Med J 1999; 319:1558-61.

16. College of Physicians and Surgeons. Province of Alberta. Complementary health care therapy provided by medical practitioners. 1996.


Le Centre de documentation de l’ADC

Le Centre de documentation de l’ADC peut offrir aux membres toute référence citée dans cet article. Pour obtenir plus d’information sur les services et les frais, veuillez joindre le Centre de documentation, tél. : 1-800-267-6354 ou au (613) 523-1770, poste 2223; téléc. : (613) 523-6574; courriel : info@cda-adc.ca.