Lorsque l’impensable se produit : prophylaxie post-exposition des blessures percutanées contaminées par le VIH

• Trey L. Petty, BA, B.Sc., DDS  •

© J Can Dent Assoc 1999; 65:293-4


Le Laboratoire de lutte contre la maladie (LLCM) de Santé Canada, en collaboration avec les Centres de lutte contre la maladie et de prévention (CLMP) des États-Unis, émet des recommandations sur diverses questions touchant la santé du public en général et les milieux de la santé. Ces recommandations s’appliquent aux cabinets dentaires de façon générale seulement, mais certaines peuvent très bien convenir aux procédures dentaires. Une d’entre elles, modifiée il y a relativement peu de temps, constitue le protocole de la prophylaxie post-exposition (PPE) des blessures percutanées avec du sang connu contaminé par le VIH.1 Soucieux du contrôle des infections et des mesures aseptiques des soins de santé, l’Association médicale canadienne et d’autres organismes en ont approuvé la modification. Le protocole de la PPE est modifié de temps à autre après l’examen des études cas-témoin prospectives de la séroconversion du VIH chez les travailleurs de la santé, exposés au sang contaminé par le VIH par voie percutanée. Ces études sont communément appelées «études sur les piqûres avec des aiguilles des CLMP».2,3

Le personnel des cabinets dentaires qui traite des patients infectés par le VIH doit connaître ce protocole, et les politiques du cabinet doivent tenir compte de ces recommandations. Malheureusement, le personnel a tendance à ne pas rapporter les blessures percutanées, surtout s’il risque d’y avoir infection par le VIH.4 Bien qu’il semble fort peu probable qu’une séroconversion se produise après une blessure percutanée contaminée par le VIH lors d’une séance dentaire,5 cela arrive malheureusement. Il semble que la plupart des travailleurs de la santé soient très prudents et concentrés lors de procédures intra-buccales; or, c’est au cours de procédures extra-buccales, comme le travail en laboratoire, le nettoyage du cabinet dentaire et la préparation des instruments à la stérilisation, qu’arrivent la plupart des blessures percutanées contaminées par le sang ou la salive du patient.6

D’après les données cumulatives du Canada et des États-Unis, le risque moyen d’infection par le VIH par voie percutanée s’élève à seulement 0,3 p. 100.3 Bien que ce nombre soit extrêmement faible comparativement à d’autres risques connus de la vie moderne (comme celui de conduire une voiture), la séroconversion des travailleurs de la santé, y compris le personnel dentaire, se produit tout de même. L’observation des recommandations précédentes relatives à la PPE — pour lesquelles un seul agent antirétroviral a été utilisé, soit la zidovudine (AZT; Retrovir) — réduisait ce risque de 79 p. 100.7

Plus récemment, en fin d’année 1996, les CLMP ont formulé des recommandations sur lesquelles l’Association canadienne médicale fondent les siennes.8 Les recommandations actuelles tiennent compte de la possibilité d’une plus grande protection grâce à un protocole d’association de médicaments par l’utilisation d’inhibiteurs protéases antirétroviraux, à savoir le 3TC (la lamivudine). Bien que le médicament IDV (indinavir) fasse aussi partie des recommandations révisées, il est peu recommandé, en raison de sa toxicité potentielle, de l’utiliser pour de grandes quantités de sang — par exemple, la transfusion de sang infecté par le VIH. Par conséquent, l’utilisation de ce médicament et une bonne connaissance de ce dernier n’est pas nécessaire dans les milieux dentaires. Le protocole recommandé pour les plaies percutanées contaminées de sang infecté par le VIH est le suivant :

Immédiatement après l’exposition à une blessure, faites saigner la plaie en la pressant et en la maintenant sous le robinet d’eau chaude. Lavez à fond la plaie plusieurs fois avec un produit pour le lavage des mains antimicrobien (pour plus de renseignements, voir le Guide du contrôle des infections9 de l’Association dentaire canadienne). S’il le faut, pratiquez une suture primitive de la plaie.

Conduisez immédiatement la personne à l’établissement médical approprié aux fins d’une analyse post-exposition. Cette dernière tient compte de la nature de l’exposition, des probabilités d’une infection par le VIH chez le patient source et, dans le cas d’une infection connue, le degré de VIH et la probabilité de résistance au médicament (si connue). Il est primordial de recevoir les bons conseils d’un personnel médical qualifié qui connaît l’exposition au VIH.

Il est crucial d’administrer des médicaments antirétroviraux pour prévenir la séroconversion. Le risque d’infection doit être calculé par rapport au potentiel de toxicité de ces médicaments; le cas échéant, il faut commencer la chimioprophylaxie tout au plus une ou deux heures après l’exposition et la poursuivre pendant quatre semaines.

La chimioprophylaxie recommandée consiste à prendre 200 mg de AZT et 150 mg de 3TC, respectivement, trois et deux fois par jour, pendant quatre semaines. Ces médicaments peuvent causer des symptômes gastrointestinaux (nausée, vomissement, diarrhée), de la fatigue, de la neuropathie périphérique, de l’anémie et des maux de tête. Certains de ces effets secondaires peuvent devenir débilitants tout au long de la prise des médicaments. Rien n’indique que le 3TC est sans danger pour la grossesse.

Malheureusement, la restructuration des milieux de la santé au Canada peut retarder la dispensation des soins d’urgence, et ce, même dans les salles d’urgence des grands centres de traumatologie où l’on devrait être sensibilisé au traitement de telles crises sanitaires. Le personnel de la clinique dentaire de l’auteur, qui a subi des blessures contaminées par le VIH, a dû attendre plusieurs heures avant de recevoir conseils et chimioprophylaxie au service d’urgence de l’hôpital de la clinique dentaire même, et ce, malgré les demandes de soins véhémentes de l’auteur.

Les cabinets dentaires devraient demander à leurs services locaux de la santé ou à leurs hôpitaux de traiter leur personnel immédiatement et de garder à portée de la main des médicaments de chimioprophylaxie au cas où ceux-ci s’avéreraient nécessaires. Les cabinets dentaires qui traitent plusieurs patients infectés par le VIH voudront peut-être posséder au moins une ou deux doses de ces médicaments dans leur trousse d’urgence, de sorte que les délais enregistrés dans l’administration des soins médicaux ne soient plus un problème.

Tout clinicien en dentisterie est confronté au danger de l’exposition percutanée aux pathogènes à diffusion hématogène, comme le VIH. En étant bien armés des connaissances nécessaires et du protocole, les cliniciens peuvent réduire autant que possible le risque de séroconversion qui les concerne, eux et leur personnel. Les exigences du clinicien sont déjà assez élevées sans qu’il ait à se préoccuper du «facteur terrifiant» de savoir que faire dans une telle situation.

Le Dr Petty est chef de division en médecine buccale au Centre médical Foothills, directeur en médecine et en chirurgie buccales au Centre de lutte contre le cancer Tom Baker et professeur agrégé à la Faculté de médecine de l’Université de Calgary.

Demandes de tirés à part : Dr Trey L. Petty, Foothills Medical Centre, 1403, 29e rue N.O., Calgary AB T2N 2T9

Les vues exprimées sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement les opinions et les politiques officielles de l’Association dentaire canadienne.

Références

1. Patrick DM. HIV post-exposure prophylaxis: new recommendations. Can Med Assoc J 1997; 156:233-4.

2. Marcus R. Surveillance of health care workers exposed to blood from patients infected with the human immunodeficiency virus. N Engl J Med 1988; 319:1118-23.

3. Tokars JI, Marcus R, Culver DH, Schable CA, McKibben PS, Bandea CI, Bell DM. Surveillance of HIV infection and zidovudine use among health care workers after occupational exposure to HIV-infected blood. The CDC Cooperative Needlestick Surveillance Group. Ann Intern Med 1993; 118:913-9.

4. Ramos-Gomez F, Ellison J, Greenspan D, Bird W, Lowe S, Gerberding JL. Accidental exposures to blood and body fluids among health care workers in dental teaching clinics: a prospective study. JADA 1997; 128:1253-61.

5. Gooch BF, Cardo DM, Marcus R, McKibben PS, Cleveland JL, Srivastava PU, and others. Percutaneous exposures to HIV-infected blood among dental workers enrolled in the CDC Needlestick Study. JADA 1995; 126:1237-42.

6. Cleveland JL, Lockwood SA, Gooch BF, Mendelson MH, Chamberland ME, Valauri DV, and others. Percutaneous injuries in dentistry: an observational study. JADA 1995; 126:745-51.

7. Case-control study of HIV seroconversion in health-care workers after percutaneous exposure to HIV-infected blood — France, United Kingdom, and United States, January 1988 - August 1994. MMWR 1995; 44:929-33.

8. Update: provisional public health service recommendations for chemoprophylaxis after occupational exposure to HIV. MMWR 1996; 45:468-72.

9. Committee on Community and Institutional Dentistry. CDA workbook on infection control: a companion to the CDA guidelines on infection control. August 1997; IC-05-01.

10. David HT and David YM. Living with needlestick injuries. J Can Dent Assoc 1997; 63:283-6.

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