La dentisterie adhésive à l’essai

• William H. Liebenberg, B.Sc., BDS •

© J Can Dent Assoc 1999; 65:582-4


[intégrité des restaurations mise en perspective |Un changement de concept|Le traitement définitif différé|La réalité clinique touchant le choix du traitement|Conculsion|Références] 

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Illustration 1 : Couronne tout céramique fracturée trois ans après la pose. L’auteur n’a pas effectué la réduction occlusale nécessaire de 2 mm.

Lattrait esthétique et conservateur de la dentisterie adhésive a entraîné des applications excessivement ambitieuses, les patients demandant de plus en plus de restaurations de couleur naturelle. Les cliniciens ont recours à des techniques adhésives dans toutes sortes de cas qui ne sont pas toujours indiqués, sans tenir compte du fait que la durabilité de ces applications étendues n’a pas été scientifiquement homologuée. Les restaurations postérieures directes en résine composite, la couverture partielle indi recte, les options de correction d’espaces édentés simples et multiples antérieurs et postérieurs de couleur naturelle doivent être considérées «à titre d’essai», étant donné que l’expérience clinique (Ill. 1) a révélé que l’apparence esthétique initiale d’une restauration ne garantit pas sa durabilité et le maintien de sa qualité1.

Choisir le traitement de restauration le plus approprié peut être un problème. Souvent, les praticiens hésitent entre un traitement traditionnel et un traitement d’essai. Les techniques et les matériaux de restauration sont sans cesse améliorés. Nonobstant la volonté des praticiens à appliquer des techniques «avancées», ils sont tenus de s’assurer que leurs efforts ne compromettront pas le succès de la gestion de la restauration à l’avenir. Le but de cet article est de démontrer l’application de ce principe directeur dans la pratique clinique générale.

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L’intégrité des restaurations mise en perspective

L’intégrité des restaurations dépend du simple rapport entre les liaisons et le stress. Si une liaison peut résister au stress, la technique de restauration sera réussie2. La résistance de la liaison résine-émail s’est révélée adéquate pour prévenir la microinfiltration et fournit à la profession des résultats suffisamment prévisibles depuis le début de son utilisation en 19553. Par contre, la dentine est un substrat tout à fait différent. Kiyomura fut le premier à attirer l’attention de la profession sur le manque de durabilité de la liaison résine-dentine4. Il a démontré une réduction de 18 MPa à 4 MPa après cinq années d’entreposage dans de l’eau à 37 ºC. Nakabayashi et Pashley ont récemment étudié cette détérioration alarmante et postulé qu’elle est le résultat d’un mordançage excessif de la dentine et d’une imprégnation incomplète de la résine dans la couche déminéralisée de la dentine5. Ce problème produit une couche amorphe sous la couche hybride qui comprend des fibres de collagène non protégées, lesquelles s’hydrolysent avec le temps.

Les cliniciens devraient se méfier des résistances de liaison remarquablement grandes obtenues et vantées par les fabricants puisque ces essais sur les spécimens vieux de 24 heures ne tiennent pas compte de l’affaiblissement qui se produit avec le temps. Aucune étude à long terme n’a été faite sur la durabilité des liaisons à la dentine in vivo. Vu les multiples conditions dans lesquelles les patients peuvent se présenter, il n’y a aucune façon de s’assurer que, dans chacun des cas, le produit de liaison choisi s’infiltrera avec succès dans toute la profondeur de la dentine déminéralisée.

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Un changement de concept

À la lumière de ce qui précède, il serait avisé d’informer les patients de la nature temporaire des restaurations de couleur naturelle ainsi que de la diversité des risques, des avantages et des coûts d’entretien reliés à une thérapie restauratrice. Le patient sera alors mieux en mesure de comprendre pourquoi le résultat des grandes procédures de restauration adhésive n’est pas entièrement prévisible.

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Illustration 2 : Vue post-opératoire du bord incisif distal fracturé de l’incisive centrale droite qui a été restaurée sans préparation dentaire mécanique.

Prenons, par exemple, l’occurrence fréquente d’un bord incisif fracturé sur une incisive centrale venant de faire son éruption chez un enfant. Traditionnellement, le périmètre de la substance dentaire fracturée est chanfreiné afin d’accroître la surface d’adhésion et de permettre de réaliser une restauration dentaire imperceptible. Dans de nombreux cas, la procédure préparatoire enlève une plus grande partie de la structure dentaire saine que le premier trauma. Or cette préparation dentaire irréversible aura des répercussions sur toutes les interventions restauratrices futures. Dans le cas de l’enfant de huit ans de l’Ill. 2, la restauration du bord incisif distal de l’incisive centrale droite a été effectuée sans aucune préparation dentaire mécanique. Aussi le résultat esthétique (montré 18 mois après qu’un second incident traumatisant a fracturé l’incisive latérale adjacente) en a-t-il été légèrement compromis, mais cet inconvénient a été compensé par le fait que la restauration a été effectuée sans autre perte de la substance dentaire saine. La restauration devrait durer environ cinq ans et, alors, un matériau de restauration amélioré permettra d’obtenir un résultat esthétique meilleur. Ce cas illustre un concept de restauration évolutif qui reconnaît :

• les imperfections esthétiques et structurales de la technologie actuelle

• le caractère sacro-saint de la substance dentaire et l’irréversibilité de la réduction dentaire

• l’amélioration incessante des techniques et des matériaux adhésifs

• la nécessité d’avoir des attentes plus réalistes en informant les patients comme il faut.

Sans un consentement approprié, la substance dentaire saine ne doit pas être sacrifiée au profit de l’esthétique au niveau des dents postérieures, surtout lorsqu’on prévoit que la restauration sera reprise un certain nombre de fois au cours de la vie d’une personne.

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Le traitement définitif différé

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Illustration 3a : Un regreffage des incisives centrales fracturées a été effectué à titre d’option de traitement provisoire.. Illustration 3b : Le traitement définitif peut être reporté jusqu’à la maturation complète des dents et des gencives.

Si on reconnaît que nos efforts de restauration sont à l’essai probatoire, le traitement définitif peut être différé avec raison jusqu’à la maturation complète des dents et des gencives. Les incisives centrales fracturées représentées dans les illustrations 3a et 3b démontrent bien ce principe. La pulpe des deux dents a été exposée à la suite d’un incident traumatisant. Après coiffage de la pulpe et application de la technique de mordançage total, les fragments dentaires incisifs fracturés ont été repositionnés au moyen d’un agent de liaison à la dentine6. Deux ans et demi plus tard, les deux dents sont toujours vitales, mais les fragments repositionnés sont décolorés et la patiente n’est pas satisfaite (Ill. 3a). Le repositionnement a été fait à titre de traitement provisoire, ce qui a permis non seulement de préserver le scellement biologique des tissus pulpaires, mais aussi de préparer des facettes par la suite (Ill. 3b).

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La réalité clinique touchant le choix du traitement

Dans la restauration d’une dent temporaire, la durée de vie est moins importante puisque la dent sera probablement remplacée avant que la restauration devienne défectueuse. Avec la dentition permanente, le contraire est vrai, étant donné que le traitement devra probablement être repris un certain nombre de fois au cours de la vie d’une personne. Il est évident alors que la restauration qui doit durer le plus longtemps doit être considérée comme l’option optimale.

Toutefois, bon nombre de nos options de restauration sont souvent limitées par la situation financière des patients. Dans les cas où ils sont forcés de renoncer à une restauration indirecte idéale, une résine composite directe bien posée mais moins qu’idéale peut constituer le meilleur traitement de compromis lorsqu’ils désirent une restauration non métallique (Ill. 4a et 4b). Voyez la profondeur et la largeur des lésions aux trois dents maxillaires dans l’illustration 4a. Ces dents seront mieux restaurées avec une option indirecte après repositionnement approprié de la gencive. Cependant, pour ce patient qui a demandé une restauration de couleur naturelle, le problème a été résolu grâce à des procédures innovatrices et à l’application minutieuse des principes d’adhésion fondamentaux. Parfois, un traitement de compromis est la meilleure option dans des cas particuliers, pourvu que la décision soit prise par le dentiste de concert avec le patient et que celui-ci soit mis au courant de toutes les options raisonnables7. Le patient pourra alors choisir une approche indirecte quelque huit ans plus tard, quand les marges de la restauration commenceront à se détériorer. Sans le traitement «intermédiaire» direct, la structure de la dent aurait pu être compromise davantage en raison de l’expansion et du manque d’étanchéité des alliages. (Il n’entre pas dans les intentions de l’auteur de dénigrer le processus adhésif, mais plutôt de mettre en perspective ce qu’on attend des restaurations de façon à pouvoir maintenir le degré approprié d’attention en clinique. Bien que les techniques de pose modernes puissent améliorer les résines composites actuelles comme restaurations postérieures [Ill. 5a et 5b], il convient de les regarder comme une option restauratrice de compromis quand on les applique à des lésions importantes.)

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Illustration 4a : Pour les patients dont les moyens financiers sont restreints, une résine composite directe bien posée peut constituer le meilleur traitement de compromis lorsqu’ils désirent une restauration non métallique. Illustration 4b : Vue post-opératoire du quadrant maxillaire restauré.t. Illustration 5a : Une résine composite directe a été utilisée pour cette première molaire maxillaire étant donné que le patient ne pouvait se permettre une solution indirecte. Illustration 5b : Esthétique, fonction et forme restaurées avec succès.

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Conclusion

Il est juste d’affirmer que la dentisterie adhésive a évolué trop rapidement pour les bilans actuels et, par conséquent, que la réussite clinique est plus difficile à quantifier. Bien qu’il soit tentant d’utiliser l’esthétique comme mesure de succès, l’intégrité des restaurations attestée par la durabilité clinique doit constituer la vraie mesure du rendement. L’amélioration des matériaux et les applications cliniques innovatrices doivent se poursuivre. Entre-temps, la technologie adhésive actuelle doit être considérée à titre d’essai.

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Le Dr Liebenberg exerce dans un cabinet privé à Vancouver Nord (C.-B.).

Demandes de tirés à part : Dr William H. Liebenberg, 201-2609, prom. Westview, Vancouver Nord, BC V7N 4M2

L’auteur n’a aucun intérêt financier déclaré dans la ou les sociétés qui fabriquent les produits mentionnés dans cet article.

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Références

1. Liebenberg WH. Partial coverage indirect tooth-colored restorations: steps to clinical success. Am J Dent 1999; 12:201-8.

2. Unterbrink G., Liebenberg WH. Flowable resin composites as “filled adhesives”: literature review and clinical recommendations. Quintessence Int 1999; 30:249-57.

3. Buonocore MG. A simple method of increasing the adhesion of acrylic filling materials to enamel surfaces. J Dent Res 1955; 34:849-53.

4. Kiyomura M. Bonding strength to bovine dentin with 4-META/ MMA-TBB resin. Long-term stability and influence of water. J Jpn Dent Mater 1987; 6:860-72.

5. Nakabayashi N, Pashley DH. Hybridization of dental hard tissues. Chicago: Quintessence; 1998. p. 57-83.

6. Liebenberg WH. Reattachment of tooth fragments: operative considerations for the repair of anterior teeth. Pract Periodontics Aesthet Dent 1997; 9:761-72; quiz 774.

7. Iacopino AM, Wathen WF. Geriatric prosthodontics: an overview. Part I. Pretreatment considerations. Quintessence Int 1993; 24:259-66.

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