Restaurations à la résine ultraconservatrices

• George Freedman, DDS, FAACD •
• Fay Goldstep, DDS •
• Tomas Seif, DDS, MS •
• Jaffar Pakroo, DD

© J Can Dent Assoc 1999; 65:579-81


[Détection précoce et traitement |Préparation ultraconservatrice|La technique ultraconservatrice| Résumé |Références] 

L’émail et la dentine naturels sont encore les meilleurs «matériaux dentaires» qui soient; c’est pourquoi les procédures peu invasives qui conservent une grande partie de la structure de la dent saine et naturelle doivent être préférées aux autres. Ces procédures sont également avantageuses du point de vue du patient. Elles causent moins de gêne et nécessitent moins d’anesthésie locale. On prévoit également que la dent naturelle ainsi restaurée durera toute une vie. Par contre, le remplacement des restaurations à l’amalgame nécessite de plus grosses restaurations moins durables, et la procédure elle-même peut endommager les dents saines adjacentes.

Dans beaucoup de parties du monde, la dentisterie restauratrice a été appelée dentisterie conservatrice. Or, celle-ci n’a guère épargné les structures des dents, puisque les méthodes traditionnelles ont été grandement invasives et ont amené au sacrifice de dentine et d’émail sains.

Heureusement, la dentisterie d’aujourd’hui bénéficie de matériaux, de techniques et d’instruments nouveaux qui font de la dentisterie conservatrice une dentisterie pratique et de la dentisterie ultraconservatrice une réalité. Les restaurations adhésives éliminent le besoin de préparations de rétention approfondies. Les composites à l’apparence de l’émail (à la fois hybrides et de basse viscosité) offrent un remplacement durable de la structure de la dent, sans grand besoin d’épaisseur. En détectant tôt les caries et en faisant appel à une restauration ultraconservatrice, on empêche les caries secondaires de se former. De nouveaux instruments comme les appareils de microabrasion et les fraises à fissures offrent au dentiste des techniques qui réduisent le temps de préparation au minimum et augmentent le degré d’acceptation du patient à son maximum.

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Détection précoce et traitement

Au cours des dernières décennies, les tendances carieuses ont considérablement changé, en raison notamment d’une meilleure éducation du public et d’une fréquence accrue des soins préventifs dispensés par le dentiste. Par conséquent, l’incidence des caries est moindre, et les caries sont plus petites, surtout chez les plus jeunes.

Bien que ce changement marque une grande évolution pour la profession dentaire, il a soulevé de nouveaux sujets de préoccupation :

1. Comment le praticien peut-il diagnostiquer efficacement ces lésions nettement plus petites des dents?

2. Devrait-on laisser grossir ces lésions pour pouvoir mieux les diagnostiquer et y accéder ou devrait-on les intercepter pendant qu’elles sont encore petites?

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Illustration 1 : Lésion carieuse invisible sur la radiographie, mais apparente en coupe transversale de la dent.

Il se peut que de minimes lésions soient difficiles à diagnostiquer avec les techniques traditionnellement acceptées. La forme des lésions des puits et des fissures a tendance à masquer l’anomalie lorsque le dentiste utilise une sonde exploratrice, puisque l’ouverture occlusale étroite empêche l’instrument de pénétrer dans la lésion. La coupe transversale histologique confirme un rapport de précision de 1:4 (25 p. 100) dans le diagnostic traditionnel (à la sonde exploratrice) de caries sous-jacentes à la surface occlusale1.

Les radiographies peuvent détecter des caries qu’un diagnostic clinique ne repère pas. Or, bien trop souvent elles n’en révéleront pas (Ill. 1). Ce problème est connu sous le nom de caries cachées2-4.

Diagnostiquer ces petites lésions carieuses tôt est un dilemme bien réel qu’on ne peut résoudre facilement avec les techniques de diagnostic existantes5-7. Ce qui complique davantage les choses est l’utilisation massive du fluorure dans les collectivités où l’eau est fluorurée. L’effet durcisseur que le fluorure a sur l’émail rend la surface de la dent moins propice à l’exploration, masquant ainsi l’activité carieuse qui se produit juste sous la surface et le long de la jonction de la dentine et de l’émail (JDE).

Le dentiste doit alors surveiller le développement des caries débutantes et attendre qu’elles grossissent et détruisent davantage la structure de la dent saine, ou éliminer ces caries débutantes agressivement et réparer les cavités à l’aide de restaurations ultraconservatrices.

Sceller les puits et fissures est une pratique qui a été largement acceptée8-10. On s’est toutefois toujours inquiété de l’application de scellants sur des caries non diagnostiquées. Étant donné qu’il est souvent difficile de déterminer l’activité carieuse dans les fissures, une technique exploratoire ou biopsie excisionnelle offre le meilleur diagnostic qui soit et le maximum de rétention de la structure de la dent saine. De plus, cette technique conservatrice permet d’enlever toute la lésion carieuse. La fraise d’excision refaçonne l’anatomie de la fissure, facilitant ainsi l’accès, le mordançage et la liaison de la résine composite dans la préparation de la cavité11.

Si cette procédure peut se faire sans causer trop de gêne chez le patient et sans anesthésique, le patient y sera très réceptif, et le dentiste atteindra ses objectifs conservateurs.

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Préparation ultraconservatrice

La préparation ultraconservatrice a pour objectif de :

• refaçonner l’anatomie des puits et des fissures pour un accès et une visibilité meilleurs

• explorer la cavité pour qu’aucune lésion carieuse ne persiste

• enlever les caries de manière ultraconservatrice (mais complète).

Le praticien peut choisir entre plusieurs approches de traitement ultraconservatrices.

Petites fraises rondes

Alors que ces fraises bien connues permettent des préparations conservatrices et un bon accès à la sonde, elles coupent mal l’émail et le font lentement. Une anesthésie locale est souvent nécessaire, et la forme de la préparation laisse de l’émail non supporté. Toutefois, leur utilisation ne requiert aucune courbe d’apprentissage.

Abrasion à l’air

Ces dernières années, beaucoup de dentistes ont commencé à se servir de la technologie de l’abrasion à l’air pour préparer les cavités. Celle-ci permet de retirer la structure de la dent de façon conservatrice et de donner un bon accès à la sonde dans la préparation, et ce sous une anesthésie locale minime. Cependant, une courbe d’apprentissage est nécessaire en matière de direction, de profondeur de coupe et de précision du jet, car contrairement aux fraises il n’existe aucune indication tactile lors du processus de préparation. La plupart de ces procédures sont plutôt salissantes puisque l’excès du jet abrasif tend à s’éparpiller autour du site opératoire. Il se peut aussi que l’équipement soit coûteux.

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Illustration 2 : Fraise à fissures (à gauche) et deux fraises de polissage. Illustration 3 : Fraise 330 traditionnelle (à gauche) et fraise à fissures anatomique
(à droite).

Fraises de biopsie excisionnelle

Ces fraises coupent rapidement, sont conservatrices et pas cher. Elles sont aussi spécifiquement conçues pour refaçonner les fissures et accéder à la carie en enlevant le moins possible d’émail (Ill. 2). Ces instruments sont connus de tous les dentistes. Dans la plupart des cas, toute la procédure peut se faire sans anesthésique. Les fraises à fissures se limitent aux puits, aux fissures et aux sillons.

Fissurotomie

La fraise à fissures offre une nouvelle approche au traitement dentaire ultraconservateur. Sa forme et sa taille sont spécifiquement adaptées au traitement des puits et des fissures. La tête, longue de 2,5 mm, permet au dentiste de contrôler le bout de la fraise pour couper juste en-dessous de la JDE et pas plus loin. La forme conique permet au bout tranchant de ne toucher que très peu de tubules dentinaires et réduit l’échauffement et les vibrations. Comme on ne s’en sert que pour l’émail, le patient éprouve peu de gêne, rendant l’anesthésie locale inutile. La conception de la fraise à fissures est moins invasive qu’une fraise normale 330 (Ill. 3). Et les fraises coupantes traditionnelles, conçues pour accéder aux caries profondes (au-delà de la JDE), enlèvent bien plus d’émail aux différentes profondeurs de coupe.

La préparation de la cavité doit marier des matériaux de restauration appropriés. Le matériau direct le plus proche de l’émail est la résine composite. Puisque la préparation de fissurotomie typique est très étroite, longue et de profondeur irrégulière, il est important que le matériau de restauration pénètre facilement dans tous les coins et recoins. Le matériau dentaire de choix est un composite à basse viscosité. Alors que les composites hybrides sont plus solides et résistent mieux à l’usure, il peut s’avérer difficile de les faire pénétrer dans la géométrie complexe de la préparation pour éliminer les bulles d’air et les espaces vides. Les composites condensables font appel à une technique encore plus délicate dans le cas de très petites cavités.

La trousse de fissurotomie (SS White, Lakewood, NJ) comprend l’Heliomolar Flow (Ivoclar North America, Amherst, NY), un matériau micro-fin à basse viscosité bien établi. Ce dernier pénètre toutes les irrégularités de la dent préparée et s’adapte à toute anatomie interne existante liée à l’adhésif. Il est également facile à polir.

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La technique ultraconservatrice

1. Sondez tous les puits et fissures. Bien qu’aucune carie ne soit apparente, les fissures seront quelque peu «accrochantes» à la sonde exploratrice. Servez-vous de la fraise à fissures pour effectuer une biopsie excisionnelle de toutes les fis sures carieuses ou suspectes (Ill. 4). Explorez les fissures avec la fraise pour repérer les caries et finissez l’émail environnant en dépouille.

2. Arrêtez la forme de dépouille juste à la limite de la JDE (Ill. 5). Si les caries sont peu profondes, il est inutile d’aller aussi loin que la JDE. Si vous soupçonnez la présence de carie dans la dentine ou l’émail, appliquez un détecteur de caries à la préparation, puis rincez après 10 secondes. Toute dentine teinte en rouge devrait alors être enlevée.

3. Mordancez la préparation avec de l’acide phosphorique à 37 % pendant 15 secondes (Ill. 6), puis rincez complètement à l’air et à l’eau. Pour que l’agent de liaison adhère, ne séchez pas complètement.

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Illustration 4 : Fraise à fissures accédant aux fissures. Illustration 5 : Préparation finale, murs avec forme de dépouille, juste à l’intérieur de la JDE (coupe transversale). Illustration 6 : Mordançage de la préparation.
Illustration 7 : Application de l’adhésif
Excite.

4. Appliquez de l’Excite (Ivoclar North America, Amherst, NY) à la préparation humidifiée à l’eau (Ill. 7) et attendez 15 à 20 secondes pour que l’hybridation se produise.

5. Enlevez l’excès de solvant en une seconde avec un jet d’air. Photopolymérisez pendant 10 secondes (Ill. 8).

6. Injectez l’Heliomolar Flow dans la préparation (Ill. 9). Photopolymérisez pendant 20 à 40 secondes, suivant la profondeur de la fissure.

7. Vérifiez l’occlusion. Réduisez et polissez la surface occlusale du matériau composite, le cas échéant. Notez que, à l’Ill. 10, la largeur ultraconservatrice de la restauration se situe entre 1/8 et 1/10 de la distance intercuspidale, en comparaison avec un petit amalgame conventionnel qui lui se situe entre 1/3 et 1/2.

La technique de fissurotomie offre une conception de fraise et un procédé de restauration innovateurs qui permettent un traitement rapide tout en minimisant la gêne du patient, et ce grâce à des instruments que le dentiste connaît et possède déjà.

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Illustration 8 : Photopolymérisation de
l’adhésif à l’intérieur de la préparation (notez le passage de la lumière à travers l’émail).
Illustration 9 : Injection d’Heliomolar Flow dans la préparation. Illustration 10 : La restauration ultraconservatrice, polymérisée et finie (notez la largeur minimale de la restauration).

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Résumé

La dentisterie ultraconservatrice représente un grand pas en avant pour le dentiste, la profession et surtout le patient. Elle comprend la détection précoce et l’élimination complète de toutes les lésions carieuses accessibles ou non de la dent. Les caries non traitées peuvent faire rapidement de gros ravages. Détecter la carie tôt permet de conserver une bonne santé dentaire et d’accroître les chances pour la dent restaurée de durer toute une vie. a

Les Drs Freedman, Goldstep et Pakroo exercent dans un cabinet privé à Markham (Ontario).

Le Dr Seif exerce dans un cabinet privé à Caracas, au Vénézuéla.

Demandes de tirés à part : Dr George Freedman, 675, prom. Cochrane, bureau 508, Markham (Ontario) L3R 0B8.

Les Drs Freedman et Goldstep offrent des services de consultation à de nombreuses firmes dentaires.

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Références

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2. Wenzel A, Hintze H, Mikkelsen L, Mouyen F. Radiographic detection of occlusal caries in noncavitated teeth. A comparison of conventional film radiographs, digitized film radiographs, and RadioVisioGraphy. Oral Surg Oral Med Oral Pathol; 1991; 72:621-6.

3. Weerheijm KL, Gruythuysen RJ, van Amerongen WE. Prevalence of hidden caries. ASDC J Dent Child 1992; 59:408-12.

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