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  Les ciments dentaires : autre mise à jour

Derek W. Jones, PhD, FIM, C.Chem., FRSC(UK), FBSE


QUESTION DU PRATICIEN

À la suite de la lecture de l’article sur les ciments dentaires qui a été publié dans le numéro de septembre du Journal (64:569-70), j’aurais quelques questions supplémentaires. 1) J’ai vu récemment le terme ciment au phénolate. S’agit-il d’un nouveau type de ciment dentaire? 2) Pourquoi les ciments à l’oxyde de zinc-eugénol sont-ils recommandés pour les restaurations temporaires? 3) Je ne comprends pas les différences qu’il y a entre les ciments ionomères de verre «traditionnels» et les nouveaux ciments ionomères hybrides ou à base de résine, ni entre les usages potentiels respectifs de chacun. 4) Quel type de ciment résiste le mieux à la solubilité dans la bouche?

© J Can Dent Assoc 1998; 64:788-9


[Ciment au phénolate | Choix du ciment | Ciments ionomères hybrides ou à la résine | Ciments expansifs| Ouverture marginale | Érosion et solubilité | Conclusion]

Réponse du Dr Jones

Ciment au phénolate

Les ciments à l’oxyde de zinc-eugénol ont toujours été considérés comme étant les plus neutres, quant à leurs effets sur la pulpe dentaire. C’est pourquoi, ces matériaux ont souvent été utilisés comme matériau témoin dans les études sur la biocompatibilité des ciments et des matériaux de restauration avec la pulpe dentaire. Les ciments à l’oxyde de zinc-eugénol étaient habituellement utilisés comme matériau de restauration temporaire à cause de leur effet sédatif sur la pulpe et de l’excellent scellement qu’ils procurent. Je me rappelle que, lorsque j’étais jeune, j’associais toujours la visite chez le dentiste à la forte odeur caractéristique d’eugénol (essence de girofle) qui y régnait. Le remplacement d’une partie de l’eugénol liquide par de l’acide éthoxybenzoïque peut produire des ciments plus résistants. Les ciments à l’oxyde de zinc-eugénol appartiennent en fait à la catégorie des ciments au «phénolate», à cause de la réaction chimique qui se produit lors du mélange du liquide et de la matrice du ciment. Les ciments au phénolate existent depuis longtemps.

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Choix du ciment

Les applications cliniques particulières exigent une certaine connaissance des propriétés chimiques et physiques des différents types de ciment. Par ailleurs, il convient de préciser qu’un ciment peut, dans certains cas, ne pas convenir à l’application à laquelle il est destiné, à cause d’une incompatibilité avec les matériaux adjacents ou des exigences cliniques propres au cas. Les ciments au polycarboxylate de zinc ont été les premiers (mis au point par le Dr Dennis Smith) à créer une liaison chimique avec la dent naturelle. Aquacem, Durelon et Tylok Plus sont des ciments au polycarboxylate de zinc.

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Ciments ionomères hybrides ou à la résine

Les ciments ionomères de verre traditionnels sont offerts sous forme de poudre de verre qui libère des ions et que l’on doit mélanger à une solution aqueuse d’acide polyacrylique, ou encore sous forme d’un mélange d’acide polyacrylique lyophilisé et de poudre de verre libératrice d’ions à mélanger avec de l’eau distillée. Le fabricant peut également ajouter une petite quantité d’acide tartrique à l’eau, de manière à obtenir une prise plus solide et plus nette. La libération précoce des ions calcium intervient dans la réaction de prise des ciments ionomères de verre, alors que la libération plus lente des ions aluminium favorise une meilleure réticulation, ce qui augmente sensiblement la résistance de ces ciments sur une période de plusieurs jours. C’est là un facteur clinique important à prendre en considération lors de l’utilisation des ciments ionomères de verre. Au nombre des ciments ionomères de verre traditionnels, mentionnons Ketac-Cem, Fuji I et Shofu I.

Les ciments ionomères dits hybrides (Advance, Fuji Plus et Vitremer Luting) allient la réaction acido-basique de l’ionomère de verre traditionnel à une réaction d’autopolymérisation avec peroxyde et amine.

Au cours des dernières années, nous avons assisté à la mise au point de ciments ionomères de verre photopolymérisables et modifiés à la résine (ciments à double réaction), obtenus par l’addition, à la préparation, de groupes fonctionnels et polymérisables de méthacrylate et d’un photoamorceur. Dans ces matériaux à double réaction, la polymérisation par photoamorçage des doubles liaisons carbone-méthacrylate vient s’ajouter à la réaction acido-basique de l’ionomère. On trouve également d’autres matériaux, où il y a polymérisation chimique des doubles liaisons du méthacrylate sous l’effet du peroxyde et d’une amine tertiaire; cette réaction s’ajoute à la réaction de photoamorçage et à la réaction acido-basique. Ces matériaux ont été désignés ciments ionomères de verre à triple réaction. Il a été démontré que la composante chimique de ces matériaux leur confère une résistance globale sensiblement accrue. Cependant, les ciments obtenus par photoamorçage ne peuvent être utilisés en présence de structures opaques, comme les substrats métalliques. Enfin, les ciments ionomères de verre modifiés à la résine libèrent généralement beaucoup moins de fluorure que les ionomères de verre classiques.

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Ciments expansifs

Après la prise, on observe une expansion due à une absorption d’eau dans certains des plus récents ciments ionomères de verre modifiés à la résine (Fuji Duet, Vitremer et Advance), une réaction absente dans les ciments ordinaires à la résine (BIS-GMA ou acrylate d’uréthane) comme Panavia 21 (un ciment à la résine autopolymérisable), les ciments de scellement ionomères de verre traditionnels et le bon vieux ciment au phosphate de zinc. Tous les ciments ionomères de verre traditionnels, les ciments au phosphate et les ciments à la résine se contractent durant la prise. Pour leur part, les ciments à la résine (BIS-GMA ou acrylate d’uréthane) subissent une contraction par polymérisation durant la prise. Cependant, la présence d’une charge de verre dans certains ciments à la résine réduit la perte et peut conférer une opacité aux rayons X. Un grand nombre de ciments à la résine sont aujourd’hui offerts sous forme de matériaux à double réaction (photoamorçage et réaction peroxyde-amine tertiaire). Font partie de ce dernier groupe les ciments Adherence, Choice, Duolink, Enforce, Lute-it, Nexus, Opal, Resinomer, Scotchbond Resin Cement et Variolink.

Ouverture marginale

Il est important de se rappeler que la principale fonction d’un ciment de scellement est de créer un scellement étanche aux marges, autour de la restauration. Les ouvertures marginales remplies de ciment autour des incrustations, des couronnes et des piliers de pont varient de 25 à 150 µm. Des recherches ont démontré que plus l’ouverture est large à la marge, plus la perte de ciment sera grande. Par ailleurs, une surface de ciment rugueuse crée un milieu idéal pour l’accumulation de plaque. En pareils cas, la libération lente de fluorure peut conférer un avantage très manifeste.

 

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Érosion et solubilité

En général, les ciments ionomères de verre ont tendance à subir le moins d’érosion, alors que les ciments au polycarboxylate présentent l’érosion la plus forte. Cependant, la solubilité, l’érosion et la solidité du ciment peuvent varier considérablement en fonction du rapport poudre-liquide qui est utilisé. Il a été démontré que l’érosion et la solubilité du ciment durant une immersion statique dans l’eau distillée différaient sensiblement des résultats obtenus dans un test d’érosion par jet avec de l’acide lactique. Ainsi, le ciment au polycarboxylate est le plus soluble, selon le test par jet, alors que l’immersion en eau distillée indique une solubilité beaucoup moindre. À l’inverse, les ciments ionomères de verre modifiés à la résine peuvent être solubles et libérer des composantes durant une immersion en eau distillée, alors qu’ils sont classés comme étant les moins solubles durant le test d’érosion par jet. Enfin, les ciments à la résine sont essentiellement insolubles, mais ils peuvent libérer de faibles quantités de composantes du monomère non polymérisé.

 

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Conclusion

Il est très important que tous les dentistes prennent conscience du fait que la fabrication des ciments dentaires traditionnels se produit en réalité au moment de l’utilisation du matériau, dans le cabinet même du dentiste. Le dentiste ou son assistant mélange une poudre et un liquide, ce qui donne lieu à une réaction acido-basique. La manipulation du ciment est une étape très importante, et toute variation dans le rapport poudre/liquide peut modifier le temps de travail et de prise, la consistance et l’écoulement du matériau, le degré de solubilité, l’érosion, la solidité, ainsi que l’épaisseur du film. Cependant, comme nous l’avons indiqué dans un précédent article également consacré aux ciments dentaires, plusieurs ciments sont aujourd’hui offerts en capsules contenant la poudre et le liquide pré-dosés.

Il ne faudrait jamais choisir un matériau en fonction d’une seule propriété. Dans le cas des ciments, voici les facteurs qui doivent être pris en considération : solubilité, érosion, résistance à la traction, résistance au cisaillement, ténacité, module d’élasticité, fluage, temps de travail et de prise, sensibilité à l’humidité durant et après la prise, conductivité et diffusivité thermiques, pH durant la prise, biocompatibilité, compatibilité avec les autres matériaux de restauration, potentiel de libération de fluorure, adhésion à l’émail et à la dentine, sensibilité de la réaction de prise à la température, vitesse de changement de la viscosité, épaisseur du film et variation dimensionnelle en présence d’humidité. Bref, le choix d’un ciment, comme de tout autre matériau dentaire, doit toujours être le résultat d’un compromis.

Le Dr Jones est professeur de biomatériaux à l'Université Dalhousie, à Halifax (Nouvelle-Écosse)

L'auteur n'a aucun intérêt financier déclaré dans la ou les sociétés qui fabriquent les produits mentionnés dans cet article.

Note de la rédaction

Nous invitons les lecteurs à nous faire parvenir des questions au sujet des problèmes d'ordre clinique qu'ils peuvent avoir en exerçant. Nous soumettrons ces questions à des experts canadiens reconnus. Vous pouvez nous faire parvenir vos questions par courrier électronique, par télécopieur ou par courrier ordinaire. Au plaisir de vous lire!

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