Standard pancanadien : Programme de prévention de la pollution due aux déchets d’amalgame dentaire

Luke Trip, B.Sc. Chem. •

Sommaire

La profession dentaire et la société reconnaissent depuis longtemps les avantages de l’utilisation d’amalgames dentaires à l’argent pour améliorer et conserver la santé dentaire des patients. Des études récentes exécutées par des spécialistes de la santé et de l’environnement ont toutefois montré que la présence de contaminants à base de mercure dans la biosphère est très préoccupante. Une approche rationnelle de la prévention de la pollution est indispensable. Le présent article explique les liens entre l’environnement et le mercure présent en particulier dans les déchets d’amalgame dentaire. De plus, il décrit une nouvelle initiative de prévention de la pollution visant à assurer la collaboration de la profession dentaire au règlement de ce grave problème de salubrité de l’environnement.

Mots clés MeSH : dental amalgam/adverse effects; environmental pollutants/prevention and control

© J Can Dent Assoc 2001; 67:270-3 


Le milieu dentaire et la société en général reconnaissent depuis longtemps les avantages de l’utilisation d’amalgames dentaires pour améliorer et conserver la santé dentaire des patients. On comprend donc la difficulté de transmettre un message voulant que le mercure présente de graves risques pour l’environnement, alors qu’il est utilisé depuis des siècles sans effets négatifs apparents. Plusieurs études récentes1 exécutées par des spécialistes de la santé et de l’environnement ont toutefois montré que la présence de contaminants à base de mercure dans la biosphère est très préoccupante. Les gouvernements de nombreux pays industrialisés ou en voie de développement prennent de plus en plus conscience des risques que présente la gestion inadéquate du mercure et des déchets contenant du mercure pour la santé humaine et l’environnement2. Le ministre canadien de l’Environnement, récemment élu président du Conseil d’administration du Programme des Nations Unies pour l’Environnement3, a fortement appuyé l’élaboration d’une évaluation mondiale du mercure d’ici 2003.

La présence de mercure dans l’environnement contamine la chaîne alimentaire, en particulier le poisson et les aliments traditionnels consommés par les habitants du nord du Canada4. Or, les avantages nutritionnels du poisson et des aliments traditionnels sont si importants qu’une approche rationnelle de la prévention de la pollution est indispensable. Même si le mercure constitue un élément naturel de l’environnement mondial, la plupart des scientifiques d’Amérique du Nord et du monde s’entendent pour dire que le volume des émissions de mercure d’origine naturelle et le volume des émissions provenant d’activités humaines, c’est-à-dire de sources anthropogènes, sont à peu près égaux5.

Le niveau de mercure dans l’environnement a augmenté depuis le début de l’ère industrielle (vers 1800-1850)6 et les effets de cette augmentation se font sentir à l’échelle du globe parce que les vapeurs de mercure sont transportées par les courants atmosphériques dans le cadre d’un phénomène appelé «transport atmosphérique à longue distance». Ce phénomène est également responsable des pluies acides et des problèmes connexes décrits par le gouvernement canadien au début des années 19807. On sait maintenant que le mercure est transporté de cette façon depuis diverses sources d’émission jusqu’à des environnements récepteurs éloignés.

Le présent article explique les liens entre le mercure, en particulier celui qui se trouve dans les déchets d’amalgame dentaire, et l’environnement. Il décrit en outre une nouvelle initiative importante de prévention de la pollution visant à assurer la collaboration de la profession dentaire au règlement de ce grave problème de salubrité de l’environnement.

Paradoxe de «l’argent liquide»

Le mercure est désigné par le symbole chimique Hg, dérivé du mot latin hydrargyrum ou argent liquide. À la fois bénéfique et nocif, le mercure présente un paradoxe apparent dû à ses propriétés physiques et chimiques tout à fait particulières. À la température ambiante, le mercure est un liquide, tout en étant aussi un métal doté de toutes les propriétés électriques du métal. Le mercure a la capacité unique de dissoudre ou de ramollir un grand nombre d’autres métaux à la température ambiante, ce qui justifie son utilisation comme amalgame dentaire. Dans certaines sociétés, le mercure élémentaire est un signe de santé et de chance8.

Même si le mercure est très dense, sa forme élémentaire est volatile. Il peut donc s’évaporer, voyager dans l’atmosphère par l’entremise des courants atmosphériques et affecter des écosystèmes extrêmement éloignés de la source d’émission. Captée par la pluie ou les autres précipitations, cette source atmosphérique vient ensuite aggraver la contamination des lacs et des rivières par le mercure provenant de sources terrestres comme les effluents des installations de traitement des eaux usées et les boues d’épuration répandues sur les terres.

Contamination par le mercure

Au Canada et aux États-Unis, les effets néfastes du mercure sur la salubrité de l’environnement se traduisent par des milliers d’avis mettant en garde contre la consommation de poissons en raison des quantités élevées de mercure contenues dans leur chair9. Ces mises en garde concernent des espèces de poissons diverses, des plans d’eau particuliers, ou parfois même des provinces entières comme le Nouveau-Brunswick ou la Nouvelle-Écosse.

Dans l’environnement naturel, le mercure qui pénètre dans les masses d’eau, entre autres sous la forme de déchets provenant des cabinets dentaires, peut être transformé par des bactéries présentes dans la colonne d’eau et dans les sédiments des lacs et des rivières en une catégorie de composés chimiques organométalliques appelés «méthylmercure». Le méthylmercure, extrêmement toxique, est persistant dans l’environnement et il s’accumule dans les tissus et les organes vivants. Le Canada, les États-Unis et de nombreux autres pays ont mis en place de vastes programmes pour réduire la présence de méthylmercure et d’autres substances toxiques bioaccumula trices et persistantes.

Même si tous les écosystèmes touchés suscitent des préoccupations, les effets les plus inquiétants du mercure sur l’environnement concernent l’eau et l’air. Le rejet dans l’eau entraîne la bioaccumulation directe de méthylmercure dans le poisson, tandis que les émissions dans l’atmosphère contaminent l’eau par l’entremise des dépôts atmosphériques à la fois humides et secs.

Au Canada, la production de chlore constituait la plus importante source industrielle de contamination par le mercure dans les années 1970. Le procédé à cathode de mercure utilisé pour produire le chlore destiné à l’industrie des pâtes et papiers a causé la pollution par le mercure de nom breux écosystèmes d’eau douce du Canada10. C’est pourquoi, dans son annexe 1, la Loi canadienne sur la protection de l’environnement11 désigne le mercure et ses composés comme des produits toxiques soumis aux exigences de la Loi. Le mercure est également réglementé par la Loi sur les pêches et la Loi sur les produits dangereux et il est soumis aux directives de l’Agence canadienne d’inspection des aliments. Les provinces et les municipalités ont-elles aussi établi des lois et des règlements qui limitent le rejet de mercure ou de déchets contaminés par le mercure dans l’environnement.

Suivi des émissions de mercure

L’Inventaire national des rejets de polluants (INRP) permet au gouvernement canadien d’assurer le suivi des émissions de mercure dans l’environnement. La Loi canadienne de 1999 sur la protection de l’environnement oblige à rendre compte des rejets de polluants. Récemment modifiée, cette obligation vise maintenant toutes les personnes ou entreprises qui fabriquent, produisent ou utilisent au moins 5 kilogrammes de mercure par an12. Afin de réduire les formalités administratives qui obligeraient la plupart des cabinets dentaires à signaler qu’ils génèrent moins de mercure que la quantité minimale à déclarer, les dentistes sont dispensés de cette exigence de déclaration, comme cela a été confirmé au cours des discussions consulta t ives qui ont mené à la modification de l’INRP en décembre 1999.

L’INRP montre que les principaux producteurs d’émissions de mercure sont le secteur des mines et des fonderies, le secteur de l’énergie électrique d’origine thermique et les installations d’incinération des déchets. En 1995, environ 12 tonnes de mercure ont été rejetées directement dans l’atmosphère par les industries et les entreprises canadiennes. Même si, comme on l’a indiqué plus haut, les cabinets dentaires bénéficient d’une exemption, ils contribuent de façon significative à la totalité des émissions de mercure. Selon un rapport de Santé Canada, «les principales sources de rejets anthropiques de mercure sont les centrales thermiques alimentées au charbon et les incinérateurs de déchets urbains et de déchets médicaux, mais il y a également une foule d’autres sources mineures. On admet actuellement que les rejets de mercure des cabinets de dentiste qui utilisent couramment le mercure dans les amalgames utilisés pour les obturations dentaires constituent une source importante de mercure dans les eaux usées municipales.»13. Les villes de Toronto, Victoria et Montréal ont récemment établi des règlements pour limiter le rejet dans les réseaux d’égouts de déchets d’amalgame par les cabinets dentaires14,15.

De façon globale, le secteur dentaire a rejeté au total près de 2 tonnes de mercure dans l’environnement et environ 0,5 tonne sous forme d’émissions atmosphériques (Ill. 1). Par comparaison, le secteur canadien de la production d’énergie électrique émet dans l’atmosphère environ 2 tonnes métriques de mercure dues presque entièrement à la combustion de combustibles fossiles. Les émissions de mercure provenant des soins dentaires dans les différents secteurs de l’environnement sont indiquées au tableau 1.

Réglementation du problème

Au Canada, la gestion de la pollution par le mercure relève de nombreuses compétences et de différents organismes gouvernementaux. Pour répondre efficacement aux attentes et éviter les redoublements, les compétences responsables travaillent ensemble à l’élaboration d’un programme de gestion du mercure propre au Canada, placé sous les auspices du Conseil canadien des ministres de l’environnement (CCME).

Le CCME est un conseil intergouvernemental unique en son genre qui regroupe les 14 ministres de l’Environnement du Canada, à savoir le ministre fédéral et les ministres des provinces et des territoires. Sous la direction du CCME, un accord-cadre nommé «Accord pancanadien sur l’harmonisation environnementale» établit la vision, les objectifs et les principes communs qui sous-tendent le partenariat entre les différentes compétences et la mise en œuvre d’accords auxiliaires16.

Jusqu’ici, des options de gestion du mercure ont été proposées ou sont en cours d’étude dans le cadre du processus confié au CCME pour les secteurs de la fonte des métaux de base, de l’incinération des déchets, de la production d’énergie électrique (y compris des appareils d’éclairage) et de la dentisterie. Le pro g ram me relatif à la dentisterie porte le nom de «standard pancanadien (SPC) relatif au mercure dans les amalgames dentaires»17.

Dès le début de l’élaboration de ce standard, il est apparu clairement que les parties concernées soulèveraient des objections si les autorités de réglementation de l’environnement proposaient des initiatives qui auraient des répercussions directes sur les soins offerts aux patients des cabinets dentaires. En conséquence, le SPC porte spécifiquement sur les aspects liés à la gestion des déchets d’amalgame dentaire et sur la prévention de la pollution.

Lors d’un atelier sur les produits tenu à Winnipeg en mars 2000, les membres du comité d’élaboration du SPC ont rencontré les parties intéressées, y compris des représentants de l’Association dentaire canadienne et de l’Ontario Dental Association, afin de vérifier l’existence d’un consensus sur la marche à suivre. Bien conscientes des vastes connaissances spécialisées que possèdent les membres de la profession dentaire, les organismes de réglementation ne désirent en aucune façon donner à ceux-ci des directives sur la meilleure manière de traiter leurs patients. À l’échelle nationale, la politique sur l’utilisation des amalgames et de divers autres produits dentaires dans les travaux de restauration relève de Santé Canada18.

Le SPC relatif au mercure dans les amalgames dentaires propose l’adoption d’un objectif national visant, d’ici à 2005 et par rapport à l’année de référence 2000, à réduire de 95 % les émissions de mercure provenant des déchets d’amalgame dentaire grâce à l’application de meilleures pratiques de gestion.

Pour s’assurer que tous les dentistes sont au courant de ce standard et auront la possibilité de participer à sa mise en œuvre, Environnement Canada et l’Association dentaire canadienne (ADC) s’affairent à élaborer un protocole d’entente qui mettra l’accent sur les questions liées à la gestion des déchets d’amalgame dans les cabinets dentaires et qui facilitera la mise en œuvre du standard. Le protocole d’entente a pour but d’amener la mise en œuvre volontaire du SPC, la présentation de rapports d’étape réguliers et transparents, ainsi que la reconnaissance des mesures de soutien prises par les gouvernements provinciaux ou territoriaux et par les organismes de réglementation de la profession dentaire. On s’attend à ce que ce protocole d’entente sera approuvé par l’ADC et par Environnement Canada au printemps 2001 et sera accessible dans le site Internet de la Voie verte  ( www.ec.gc.ca. ), de même que dans celui de l’ADC ( www.cda-adc.ca ).

Réductions importantes

Des essais récents de certification ont montré que l’installation de séparateurs d’amalgame certifiés ISO-11143 permet d’éliminer l’amalgame avec une efficacité d’au moins 95 % basé sur la masse (voir le Tableau 2, Séparateurs d’amalgame certifiés ISO). Les avantages attendus de la NPC sont indiqués à l’illustration 2 qui montre la réduction de la présence de mercure dans les égouts d’une ville-type du Danemark après l’installation de séparateurs très efficaces20.

La quantité de mercure restant dans les conduits d’évacuation des déchets situés entre le cabinet dentaire et l’égout principal de la municipalité est l’un des secteurs qui restent à étudier. Environnement Canada a entrepris une telle étude dont les résultats devraient être connus en juin 2001. On prévoit que le nettoyage minutieux de cette source de résidus de mercure et la mise en œuvre du nouveau SPC dans les cabinets dentaires amèneront des résultats nettement supérieurs à la réduction de 63 % mentionnée à l’illustration 2.

La communauté scientifique et les autorités de réglementation du Canada reconnaissent que le mercure est une substance toxique inquiétante en raison de ses effets sur l’environnement, et en particulier sur les écosystèmes d’eau salée et d’eau douce. Le secteur canadien de la dentisterie, tout comme d’autres secteurs commerciaux et industriels, peut jouer un rôle important dans la prévention des émissions de mercure dans l’environnement.


M. Trip est gestionnaire, Programmes nationaux sur le mercure, Bureau national de la prévention de la pollution, Environnement Canada, Hull, Québec.

Écrire à : M. Luke Trip, Bureau national de la prévention de la pollution, Environnement Canada, Place Vincent Massey, 20e étage, 351, boul. St. Joseph, Hull, QC K1A 0H3. Courriel : Luke.Trip@ec.gc.ca.  

Les vues exprimées sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement les opinions et les politiques officielles de l’Association dentaire canadienne.


Références

1. The 5th International Conference, “Mercury as a global pollutant”. Book of abstracts, May 23-28, 1999. Pub, CETEM-Center for Mineral Technology, Rua 04, Quadra, D-Cidade Universitária - Ilha do Fundão, 21949.590 - Rio de Janeiro, Brazil.

2. Aarhus Protocol, Protocol to the 1979 Convention on Long-Range Transboundary Air Pollution on Heavy Metals, UNECE, 1998.

3. 21st Session of the UNEP Governing Council, Nairobi, KENYA, 5-9 February 2001.

4. Le méthylmercure au Canada, volume 3 - Exposition des Premières nations et des Inuits au méthylmercure présent dans l’environnement canadien. Santé Canada, 1999.

5. Trip L, Chevalier P, Smith J, rédacteurs. L’état du mercure au Canada, rapport#2. Document d’information présenté à la Commission de coopération environnementale par le Groupe d’étude nord-américain sur le mercure, mai, 2000, p. 10.

6. Current and historical inputs of mercury to high altitude lakes in Canada and to Hudson Bay. Lockhart WL, Wilkinson P, and others. Water Air Soil Pollution 1995; 80:603-10.

7. Les eaux sournoises : la tragique réalité des pluies acides, Sous-comité sur les pluies acides du Comité permanent des pêches et des forêts de la Chambre des communes. Ottawa, octobre 1981. Ministre d’approvisionnements et services, catalogue # XC 29-321/2-01F.

8. Mercury use in the Hispanic community of Chicago, Chicago Department of Public Health, August 1997.

9. Listing of fish and wildlife advisories, August 1999. USEPA, Office of Science and Technology. Available from: URL: http://fish.rti.org/.

10. Trip L, Allan RJ. Sources, trends, implications and remediation of mercury contamination of lakes in remote areas of Canada. Water Science Technology 2000; 42(7-8):171-4.

11. Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999) c-32 [sanctionné le 14 septembre 1999].

12. Extract, Canada Gazette, Part I, December 25, 1999, Department of the Environment, notice with respect to substances in the national pollutant release inventory.

13. Le méthylmercure au Canada, volume 3. Exposition des Premières nations et des Inuits au méthylmercure présent dans l’environnement canadien. Santé Canada, 1999. p. 32.

14. City of Toronto, by-law No. 457-2000, To regulate the discharge of sewage and land drainage, enacted by Council, July 6, 2000.

15. Communauté urbaine de Montréal, Règlement 87-4, Règlement relatif aux rejets des eaux usées dans les réseaux d’égout et les cours d’eau, codification administrative, le 16 août 2000.

16. Le Conseil canadien des ministres de l’environnement. Site Internet : http://www.ccme.ca/3f_priorities/3fa_harmonisation/3fa2_cws/3fa2.html.

17. Le Conseil canadien des ministres de l’environnement. Site Internet : http://www.ccme.ca/1f_about/1f.html.

18. Santé Canada. La sécurité de l’amalgame dentaire, août 1966, Ministre d’approvisionnements et services, catalogue # H49-105/1996F.

19. O’Connor Associates Environmental Inc. Bilan massique des déchets de mercure liés aux amalgames dentaires au Canada accompagné d’un examen de la question des incidences environnementales et des matériaux de restauration dentaire de rechange. Préparé à l’intention de la Direction des questions atmosphériques transfrontalières et du Bureau national de la prévention de pollution, Environnement Canada, Hull (Québec) K1A 0H3.

20. Arenholt-Bindslev D. Environmental aspects of dental restorative materials. A review of the Danish situation. Publication in: AWMA (Air and Water Management Association) International Specialty Conference on Mercury in the Environment. Minneapolis, Sept. 15-17, 1999.