Le traitement de l’ankylose temporo-mandibulaire : Étude de cas

Bob Rishiraj, BSc, DDS •
Leland R. McFadden, DDS, MSc, FRCD(C) •

Sommaire

 

L’ankylose osseuse de l’articulation temporo-mandibulaire (ATM) chez ce patient de sexe masculin n’a été diagnostiquée qu’au début de l’adolescence, auquel moment elle a été traitée par une greffe chondro-costale. Au moment du traitement, on croyait qu’une autre chirurgie orthognathique serait nécessaire pour corriger la malformation osseuse. Cependant, à la suite de l’élimination de l’ankylose et de la croissance du greffon chondro-costal, il y a eu rétablissement d’une bonne fonction et d’une bonne harmonie esthétique, sans qu’il soit nécessaire de pratiquer d’autres chirurgies. Il est important que les dentistes généralistes soient informés des signes et des symptômes cliniques de l’ankylose de l’ATM, afin d’en favoriser un diagnostic et un traitement précoces.

Mots clés MeSH : ankylosis; case report; temporomandibular joint disorders

© J Can Dent Assoc 2001; 67(11):659-63
Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.


L’ankylose de l’articulation temporo-mandibulaire (ATM) résulte de la fusion du condyle mandibulaire à la base du crâne. Lorsqu’elle se manifeste chez un enfant, l’ankylose peut avoir des effets dévastateurs sur la croissance et le développement ultérieurs des mâchoires et des dents. Qui plus est, cette affection a, dans bien des cas, des effets négatifs profonds sur le développement psychosocial du patient, à cause de la malformation faciale évidente qui ne fait que s’accentuer avec le temps. L’ankylose est essentiellement d’origine traumatique ou infectieuse1. Chez un jeune patient, toutefois, il peut arriver qu’une lésion articulaire ne soit pas décelée immédiatement, et la limitation croissante de l’ouverture de la mâchoire, laquelle est habituellement découverte par le dentiste, peut être le premier signe d’un problème grave. Il est en effet rare que le patient ressente de la douleur. Le diagnostic et le traitement précoces de cette affection sont essentiels, afin d’éviter les pires séquelles qui y sont associées. Des résultats optimums ne peuvent être obtenus qu’après une évaluation complète et l’élaboration d’un plan de traitement à long terme. Nous présentons ici une étude de cas sur l’ankylose de l’ATM diagnostiquée et traitée avec succès chez un patient au début de l’adolescence.

Étude de cas

Un garçon de 12 ans est dirigé vers le service de chirurgie buccale et maxillo-faciale, pour examen et traitement d’une ankylose congénitale droite de l’ATM qui a entraîné une hypoplasie de la mandibule droite. Lors de la première visite, le garçon mesurait 138 cm (taille inférieure à la normale pour son âge) et ne pesait que 27,1 kg (sous le cinquième percentile pour son groupe d’âge); autrement, il était en bonne santé. Aucune complication n’avait été signalée à la naissance et aucun traumatisme subséquent de l’ossature faciale n’a été rapporté.

L’examen clinique initial a révélé une hypoplasie évidente de la mandibule, avec une relation dentaire de classe II (ill. 1a, 1b et 1c). La ligne médiane de la mandibule était déviée de 5 cm vers la droite par rapport à la ligne médiane du visage, et le plan occlusal était incliné. L’ouverture maximale était minime; il n’y avait aucun mouvement palpable au-dessus de l’ATM droite et seule une faible rotation du côté gauche.

L’examen radiographique a consisté en une imagerie postéro-antérieure Panorex (ill. 2a), une radiographie céphalométrique latérale, ainsi qu’en une reconstruction tridimensionnelle par tomographie assistée par ordinateur (ill. 2b). Ces images ont confirmé l’ankylose osseuse de l’ATM droite, avec élongation bilatérale des apophyses coronoïdes.

Un plan de traitement en 4 étapes a été élaboré, comme suit :

1. Chirurgie

- Arthroplastie avec interposition, selon l’approche submandibulaire ou préauriculaire

- Coronoïdectomie (ipsilatérale et peut-être contra-latérale)

- Greffe chondro-costale avec fixation interne rigide

- Extraction de certaines dents

- Prise d’empreintes pour la fabrication d’une attelle occlusale

- Mise en place de l’attelle

- Fixation maxillo-mandibulaire temporaire

2. Physiothérapie

- Utilisation énergique de la thérapie par mouvement passif continu et d’abaisse-langue

- Ajustement de la surface supérieure de l’attelle, pour permettre l’éruption des dents postérieures

3. Orthodontie

- Appareil fonctionnel

- Traitement orthodontique

- Extractions, au besoin

4. Chirurgie orthognathique

La première chirurgie a été faite sous anesthésie générale. L’arthroplastie droite avec interposition et la coronoïdectomie ont été pratiquées par la technique submandibulaire (ill. 3). Durant l’intervention, le chirurgien (LRM) a remarqué que l’ouverture maximale avait augmenté à environ 20 mm, mais une interférence provenant du côté contra-latéral empêchait toute amélioration additionnelle. On a donc procédé à une coronoïdectomie gauche et à l’extraction des dents 38, 63 et 64, ce qui a permis d’accroître l’ouverture maximale à 35 mm. Des empreintes préopératoires à l’alginate avaient été prises, dans le but de fabriquer une attelle qui permettrait une supracclusion postérieure droite, en espérant que l’ajustement de l’attelle aiderait à équilibrer l’inclinaison de l’occlusion. L’attelle a été maintenue par fixation osseuse. L’os temporal droit dans la région de l’ankylose a été profilé avec une fraise pour former une cavité glénoïde. Le greffon chondro-costal a été sculpté de manière à correspondre à cette cavité, en prenant soin de ne pas séparer le cartilage de l’os, et le greffon a été fixé à la branche montante droite au moyen de 3 vis bicorticales (ill. 4).

La fixation maxillo-mandibulaire a été laissée en place pendant 2 jours; le patient a obtenu son congé de l’hôpital 3 jours après la chirurgie, avec une bonne amplitude des mouvements. Il a commencé un programme d’exercices au moyen d’abaisse-langue, qui avait pour but d’étirer la bouche au maximum (la présence de l’attelle rendait pour l’instant impossible la thérapie par mouvement passif continu). L’attelle, qui était maintenue par des fils périmandibulaires, a été enlevée sous anesthésie générale 8 semaines après la chirurgie initiale. Le patient a pu commencer par la suite un programme énergique de physiothérapie, basé sur la technique du mouvement passif continu. On lui a conseillé de continuer à porter l’attelle non fixée jusqu’au moment de voir l’orthodontiste, qui a incorporé l’attelle à un appareil fonctionnel.

Un traitement à l’aide d’un appareil Twin-block (en protrusion presque maximale) a été instauré 3 mois après la première intervention. L’ouverture verticale était alors d’environ 25 mm, avec une légère déviation vers la droite (mouvement latéral maximal de 6 mm vers la droite et mouvement latéral de 3,5 mm vers la gauche). Durant l’année qui a suivi, le patient a porté l’appareil Twin-block de façon intermittente (principalement le soir et la nuit). L’amplitude verticale a augmenté pour atteindre 35 mm après 36 mois.

Durant cette période, nous avons surveillé de près l’éruption des dents permanentes et, 18 mois après la première chirurgie, le patient revenait en salle d’opération pour l’extraction des dents incluses 34 et 47 et permettre ainsi un alignement orthodontique.

Deux ans après la première chirurgie, le patient avait beaucoup grandi (ill. 5).

Des appareils fixes ont été mis en place environ 36 mois après la première chirurgie. Des appareils de rétention ont été mis en place dans les 2 arcades et un pont a été fixé sur les dents antérieures inférieures existantes; le patient a cessé de porter les appareils vers juin 1999.

Cinq ans après la chirurgie initiale, le patient est revenu, se plaignant essentiellement de la présence d’une arête pointue dans la partie où avait été pratiquée la première intervention chirurgicale. La palpation de cette zone, à la droite, a révélé la présence d’une arête pointue formée par le greffon chondro-costal et les vis bicorticales connexes, juste sous la peau. Un examen clinique plus poussé a révélé la présence d’un pli mentolabial plat. Le patient avait déjà consulté l’orthodontiste qui avait demandé l’extraction des dents 18, 17, 28 et 48. Il y a eu par la suite reprofilage de l’angle droit de la mandibule, génioplastie d’avancement, ablation des 3 vis et extraction des dents précitées.

Lors du dernier suivi, 8 ans après la chirurgie initiale, l’occlusion demeurait stable; le patient présentait une bonne amplitude des mouvements, une ouverture verticale de 26 mm et des mouvements d’excursion latérale de 4 mm et 6 mm, respectivement vers la gauche et la droite (ill. 6a, 6b, 6c et 6d). Le patient est heureux de son apparence et de son occlusion fonctionnelle.

Discussion

Les causes et le traitement de l’ankylose de l’ATM sont bien documentés2,3, les traumatismes et les infections en étant les 2 causes principales1. Chez les enfants, l’ankylose de l’ATM peut entraîner une rétrognathie de la mandibule qui s’accompagne de problèmes esthétiques et fonctionnels. Le traitement doit donc être instauré dès que l’affection est diagnostiquée, avec pour but premier de rétablir la fonction de l’articulation et un fonctionnement harmonieux de la mâchoire4,5. Divers greffons autogènes, prélevés notamment du métatarse6, de la clavicule7 et de la crête iliaque8, ainsi que divers matériaux alloplastiques9, ont été utilisés pour la reconstruction de l’ATM. Au cours des 2 dernières décennies, toutefois, la greffe chondro-costale libre est devenue de plus en plus populaire4,9-12.

L’hypomobilité de la mandibule, causée par l’ankylose de l’ATM, est classée en fonction de sa localisation (intracapsulaire ou extracapsulaire), du type de tissu atteint (osseux, fibreux ou fibro-osseux) et de l’étendue de la fusion (complète ou partielle)13. Lorsque l’ankylose est d’origine traumatique, on croit que l’hypomobilité serait due à un hématome intra-articulaire, ainsi qu’à la cicatrisation et à la formation d’une quantité excessive d’os. Si l’origine est infectieuse, l’infection résulte le plus souvent d’une propagation contiguë lors d’une otite moyenne ou d’une mastoïdite, mais elle peut aussi être due à la dissémination par voie hématogène d’infections telles que la tuberculose, la gonorrhée ou la scarlatine. Enfin, les causes systémiques de l’ankylose de l’ATM incluent la spondylarthrite ankylosante, la polyarthrite rhumatoïde et le psoriasis14.

Chez les enfants, les lésions de l’ATM peuvent non seulement causer une ankylose, mais également nuire à la croissance de la mandibule et entraîner une rétrognathie mandibulaire; en plus d’avoir des répercussions d’ordre fonctionnel et esthétique, ces problèmes rendent difficiles l’alimentation et l’hygiène buccale15.

Diverses techniques pour le traitement de l’ankylose de l’ATM ont été décrites, notamment la coronoïdectomie intra-buccale, l’ostéotomie de la branche montante, la condylectomie haute, l’ouverture forcée de la mâchoire sous anesthésie générale, la libération des adhérences de l’espace ptérygoïde durant une chirurgie exploratrice pour éliminer un corps étranger16, la greffe chondro-costale autogène 17 et les greffes vascularisées libres de l’articulation entière18. Plusieurs prothèses peuvent aussi être utilisées pour la reconstruction de l’ATM, notamment le matériau en feuille fait de Silastic (Vitek Inc., Houston, Texas), la prothèse condylienne de l’ATM, les implants de la cavité glénoïde faits sur mesure, les implants de l’éminence articulaire et les plaques de reconstruction mandibulaire avec têtes condyliennes19.

Le greffon chondro-costal offre plusieurs avantages, en raison notamment de sa similarité biologique et anatomique avec le condyle mandibulaire, de la faible morbidité de la zone donneuse, de la facilité à obtenir et à adapter le greffon et de son potentiel de régénération chez l’enfant en croissance5,8. En optant pour cette intervention, on espère que cette similarité entre les cartilages primaire et secondaire du greffon et ceux du condyle de la mandibule8 permettra au greffon de se développer au même rythme que le côté non atteint, de manière à maintenir la symétrie de la mandibule tout au long de la croissance5. Il a toutefois été démontré que le greffon chondro-costal a tendance à afficher une croissance condylienne verticale plus prononcée et que le condyle tend à afficher une déviation latérale plus marquée que le tissu osseux endogène et pourrait même causer une prognathie de la mandibule nécessitant une chirurgie orthognathique, pour ramener la mandibule vers l’arrière12.

Un protocole en 7 points a été défini pour le traitement de l’ankylose de l’ATM4 : 1) résection énergique du segment ankylosé, 2) coronoïdectomie ipsilatérale, 3) coronoïdectomie contra-latérale, au besoin, 4) revêtement de l’articulation par l’aponévrose temporale ou du cartilage, 5) reconstruction de la branche montante par greffe chondro-costale, 6) fixation rigide du greffon et 7) mobilisation précoce et physiothérapie agressive. En suivant ce protocole, Kaban et autres4 ont obtenu une ouverture inter-incisives postopératoire maximale moyenne de 37,5 mm après un an, avec des excursions latérales présentes dans 16 des 18 articulations et une douleur ressentie dans 2 des 18 articulations4. Ce protocole est également à la base du plan de traitement qui a été présenté ici, sauf qu’il n’y a pas eu revêtement aponévrotique ou cartilagineux.

Ce cas montre (et vient ainsi corroborer d’autres études similaires) que la reconstruction d’une ATM ankylosée par greffe chondro-costale permet de rétablir la fonction du condyle et offre un potentiel de développement. Il y a eu chez ce patient amélioration sensible de la position antéro-postérieure de la mandibule, ainsi qu’une augmentation appréciable de sa taille, après élimination de l’ankylose. Il en a résulté un haut niveau de satisfaction de la part du patient. 


Remerciements : Les auteurs aimeraient remercier le Dr P. Carter (orthodontiste) et les Drs J.B. Curran et C. Dale (spécialistes en chirurgie buccale et maxillo-faciale) pour leur aide dans le traitement du patient et la préparation du manuscrit.

Le Dr Rishiraj est résident en chirurgie buccale et maxillo-faciale au Centre des sciences de la santé, Université du Manitoba, Winnipeg (Manitoba).

Le Dr McFadden est chirurgien buccal et maxillo-facial au Centre des sciences de la santé, Université du Manitoba, Winnipeg (Manitoba).

Écrire au : Dr Leland McFadden, 388, avenue Portage, bureau 902, Winnipeg (Man.) R3C 0C8. Courriel : mcfaddenmb.sympatico.ca.

Les auteurs n’ont aucun intérêt financier déclaré dans la ou les sociétés qui fabriquent les produits mentionnés dans cet article.

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