La dentisterie non conventionnelle : Partie I. Introduction

Burton H. Goldstein, DMD, MS, FRCD(C) •

Sommaire

Voici le premier d’une série de cinq articles offrant un aperçu contemporain et une introduction à la dentisterie non conventionnelle (DNC) (dentisterie parallèle) et sa corrélation avec la médecine non conventionnelle (MNC) (médecine parallèle). La DNC est analogue à la MNC et en est conceptuellement inséparable. Les dentistes doivent se renseigner au sujet de l’une et de l’autre et connaître les données touchant la sûreté et l’efficacité des traitements et des procédures. Tout en se méfiant de la réclame, ils doivent être en mesure d’accepter et de comprendre les progrès scientifiques tout comme de rejeter les méthodes non éprouvées ou réfutées. Dans certains cas et à des fins spécifiques, il peut être utile tant pour les patients que pour les dentistes d’allier certaines méthodes non conventionnelles à la dentisterie conventionnelle. Aussi faut-il un meilleur enseignement en raisonnement critique, en recherche, en science, en médecine, en comportement, en communication et en gestion des patients.

Mots clés MeSH : alternative medicine; dentistry; science

© J Can Dent Assoc 2000; 66:323-6
Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.


La médecine non conventionnelle (MNC) est connue et se pratique depuis le début de l’histoire documentée de la civilisation. Certaines pratiques non conventionnelles peuvent être regardées comme «le prolongement de traditions, de croyances religieuses et même du charlatanisme exercé par les profanes»1. Ces pratiques ont été associées à des croyances religieuses et aux domaines spirituel et physique. Jadis, dans les civilisations de l’ancien monde, la MNC était exercée par des sages ou d’habiles experts; dans la civilisation occidentale actuelle, les praticiens peuvent être autorisés ou non à exercer, et certains sont des charlatans.

Tout comme la médecine, la dentisterie est une profession de la santé traditionnelle, scientifique et très réglementée qui sert des clients de plus en plus avertis et exigeants. Aujourd’hui, un cabinet dentaire traditionnel doit résoudre toutes sortes de problèmes qui se posent au système professionnel établi; ces problèmes sont généralement appelés «parallèles» (ou complémentaires, non conventionnels ou intégratifs). Les bonnes solutions de rechange sont des méthodes comparables de valeur égale qui répondent à des critères scientifiques et réglementaires pour des raisons de sûreté et d’efficacité. Comme l’expression «soins parallèles» est devenue politisée et est souvent utilisée à tort — en se rapportant à des pratiques qui ne sont pas parallèles, complémentaires ou intégrées à des soins de santé conventionnels — on se servira dans cette série d’articles de l’expression plus précise «non conventionnel».

Les controverses au sujet de la dentisterie non conventionnelle (DNC) vont de la définition même de la pratique «parallèle» aux principes de la science, au rôle des croyances et à l’éthique des pratiques qui n’entrent pas dans les soins traditionnels. De même, parce que la dentisterie est une entreprise, la DNC peut être regardée comme une pratique commerciale concurrentielle. Étant donné que le marché de la santé croît rapidement et représente des milliards de dollars dans le monde, le public s’interroge au sujet de l’éthique de toute profession de la santé soumise à la concurrence et à des pressions économiques et possédant des intérêts financiers.

Cet article offre un aperçu de la DNC. Parce que la dentisterie et la médecine scientifiques traditionnelles (et non conventionnelles) sont reliées entre elles — inséparables dans de nombreux cas — cet article et ceux qui suivront porteront généralement sur la MNC dans un contexte dentaire qui met en relief la DNC.

Définition et caractéristiques de la dentisterie et de la médecine non conventionnelles

On ne saurait dénier l’acceptation et la popularité de toutes sortes de pratiques se situant en dehors de la médecine officielle. Plus de 40 % des Américains ont recours à la MNC2, et un sondage effectué en 1996 auprès des résidants de Richmond (Colombie-Britannique) a révélé que 59,4 % y ont recours et que 86 % désirent qu’elle soit financée par le régime de santé provincial3.

La DNC et la MNC peuvent être définies comme «un grand nombre de pratiques de santé qui ne s’intègrent pas facilement dans le modèle de santé prépondérant parce qu’elles constituent des problèmes pour les croyances et les pratiques sociétales diverses (culturelles, économiques, scientifiques, médicales et éducatives)»4. Elles se caractérisent par un défaut de documentation suffisante touchant leur sûreté et leur efficacité pour le dia gnostic, le traitement ou la prévention, par un défaut de données scientifiques valables et par leur absence dans les programmes de formation des écoles de médecine et de dentisterie5.

Le défaut d’essais scientifiques et le rejet de leur nécessité par les promoteurs sont ce qui caractérisent le plus la MNC et la DNC. Le milieu scientifique reconnaît que des traitements médicaux et dentaires n’ont pas été rigoureusement testés, mais consi dère qu’il s’agit là d’un défaut devant être corrigé. Au contraire, de nombreux promoteurs de la MNC et de la DNC sont d’avis que les vérifications scientifiques ne s’appliquent pas à leurs méthodes; ils s’en remettent plutôt au théorique et à l’anecdotique6. Parce que bon nombre de problèmes chroniques ne sont pas traités convenablement suivant des méthodes scientifiques, les praticiens non conventionnels soutiennent qu’une approche différente («parallèle») s’impose7. Ainsi, certains organismes dentaires préconisent l’utilisation de matériaux dentaires «biocompatibles» et des méthodes de traitement dentaire afin d’améliorer la santé et le bien-être systémiques, alors que les données scientifiques à l’appui d’une telle amélioration font défaut8. Les débats professionnels reflètent l’intensité des émotions et de la confusion qui entourent le sujet de la DNC9,10.

Certaines pratiques non conventionnelles ont été étudiées et se sont avérées utiles pour certaines affections; une fois fondées sur la science, ces pratiques deviennent conventionnelles. La plupart des traitements non conventionnels n’ont pas été étudiés scientifiquement ou en fonction de normes scientifiques suffisantes, se plaçant plutôt dans une zone grise de croyances et soumis à de nombreux facteurs.

La science et la recherche scientifique

La science est plus qu’un ensemble de connaissances — c’est une façon de penser. La méthode scientifique ne se définit pas aisément et ne comprend aucune règle rigide. L’objectivité coexiste avec la créativité, l’esprit critique et le scepticisme. Un protocole scientifique débute généralement par une question; l’information est organisée, une hypothèse de travail répondant à la question posée est formulée, des observations vérifiant l’hypothèse sont faites, les résultats sont éprouvés pour confirmer ou modifier l’hypothèse, puis publiés; un consensus scientifique est atteint quand ces résultats sont reproduits à plusieurs reprises par d’autres. Le scepticisme met en doute la validité d’une allégation particulière et demande des données pour la prouver ou la réfuter.

La science dentaire et médicale reconnaît la nécessité de recherches bien conçues11. Pour la recherche portant sur la thérapie clinique et la prévention, l’étude prospective, randomisée à double insu et contrôlée contre placebo constitue la règle d’or. Elle permet également de faire des observations sur la causalité. Les études par cohortes sont celles qui permettent le mieux de répondre à des questions au sujet du diagnostic, tandis que les études de cas témoins ou les études par cohortes permettent de répondre aux questions touchant le pronostic et le mal. Lorsqu’il s’agit de l’excellence des preuves, la méthodologie et le plan d’étude comptent plus que le renom de l’auteur ou ses titres universitaires. Les pièges auxquels on s’expose en se fiant trop à l’opinion personnelle des experts sont reconnus12. La publication dans une revue révisée par des pairs est importante, mais n’assure pas nécessairement la qua lité des données appliquées à la question du lecteur. En général, la hiérarchie dans la qualité des données est, par ordre décroissant, la suivante : révisions méthodiques d’études bien conçues, résultats d’une ou plusieurs études bien conçues, résultats de grandes séries de cas, opinion et expérience personnelles13.

Parce que la science exige des débats et des vérifications dans des conditions convenablement contrôlées, des observations peuvent être contradictoires et prêter à controverse. La pensée intuitive n’est ni nécessairement correcte, ni scientifiquement valable. La santé, la médecine et la dentisterie sont fondamentalement complexes, et les réponses simples sont souvent des voeux pieux.

La pseudo-science et la science de pacotille

Par pseudo-science, on veut dire toute allégation qui paraît scientifique, mais qui manque de données pour l’appuyer et qui est dépourvue de plausibilité14. En esprit critique et en logique, les problèmes peuvent entraîner des attributions erronées de rapports entre une prémisse ou un énoncé de preuve et une conclusion15. «Science de pacotille» est une étiquette méprisante qu’utilisent les avocats plaidants pour parler de formules trompeuses élaborées, systématisées et remplies de jargon qui prennent la forme de science, mais qui n’ont aucun fondement16. Par exemple, «en abritant des bactéries qui libèrent continuellement des toxines dans l’organisme, les canaux radiculaires affai blissent le système immunitaire et contribuent à plusieurs maladies dégénératives... allant de douleurs à la tête et au cou jusqu’au rhumatisme et au cancer.»17 Cette affirmation paraît sérieuse, mais n’a aucun fondement scientifique.

La littérature scientifique, les médias et l’Internet

Les lecteurs doivent faire la distinction entre la littérature scientifique révisée par des pairs et les publications commerciales, parfois déguisées en revues scientifiques, ainsi que d’autres sources d’information comme les livres, les conférences de presse, les articles publiés dans les journaux, les nouvelles présentées à la radio et à la télévision, et les sites Internet. Nous reconnaissons qu’il y a une forte tension entre les scientifiques et les journa listes18. Souvent, les médias sont plus intéressés à souligner un désaccord et une controverse qu’à déterminer jusqu’à quel point il y a eu consensus sur un point donné, et cette tension peut entraîner la confusion et éveiller la méfiance. Les meilleurs espoirs pour une information constructive de la part des médias reposent sur un journalisme sérieux et des communications claires par des scientifiques19.

Les médias bombardent constamment le public de nouvelles sur les percées scientifiques; en réalité, ces «percées» sont presque toujours des étapes mineures dans la recherche fondamentale ou clinique et ne se traduisent pas par des conseils cliniques utiles. De plus, les annonces de produits non conventionnels sont formulées avec soin de manière à plaire au public qui n’est peut-être pas capable de faire la distinction entre le contenu et la promotion.

L’un des sols les plus fertiles pour promouvoir les pratiques non conventionnelles est l’Internet. L’avantage de l’Internet, tout comme son problème principal, est l’abondance de l’information. Malheureusement, rien n’en garantit la qualité. L’Internet semble être la source de désinformation pseudo-scientifique la plus puissante qui soit tout en étant également une source d’information scientifique de plus en plus précieuse. Il offre, par exemple, de nombreuses sources sérieuses d’information dentaire scientifique. L’un des sites les plus importants luttant contre le charlatanisme en dentisterie et en médecine est Quack Watch20.

Les pratiques dentaires non conventionnelles

Les pratiques dentaires non conventionnelles peuvent être classées en fonction des grands domaines correspondant à la Classification du Centre national pour la médecine complémentaire et parallèle (Tableau 1). Il s’agit de pratiques médicales «parallèles» qu’on a étendues aux affections bucco-dentaires, aux services dentaires offerts pour des affections non dentaires ou aux inventions propres à la dentisterie. Les prochains articles porteront plus spécifiquement sur certaines de ces pratiques et de nombreuses questions connexes.


Remerciements : L’auteur remercie le Dr Joel Epstein pour ses utiles commentaires et sa précieuse contribution.

Le Dr Goldstein est professeur agrégé d’enseignement clinique à la Faculté de médecine dentaire de l’Université de la Colombie-Britannique.

Écrire au : Dr Burton H. Goldstein, 208-2223, Broadway O., Vancouver, BC V6K 2F4; courriel : burtgold@unixg.ubc.ca  

Les vues exprimées sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement l’opinion ou les politiques officielles de l’Association dentaire canadienne.


Références

1. Oumeish OY. The philosophical, cultural, and historical aspects of complementary, alternative, unconventional, and integrative medicine in the Old World. Arch Dermatol 1998; 134:1373-86.

2. Eisenberg DM, Davis RB, Ettner SL, Appel S, Wilkey S, Van Rompay M, and other. Trends in alternative medicine use in the United States, 1990-1997. JAMA 1998; 280:1569-75.

3. Woodcock I. Tzu Chi. Institute for Complementary and Alternative Medicine, Vancouver, B.C. Presentation, March 20, 1997.

4. Eskinazi DP. Factors that shape alternative medicine. JAMA 1998; 280:16:21-3.

5. Classification of alternative medicine practices. National Center for Complementary and Alternative Medicine. Available from: URL: http://nccam.nih.gov .

6. Angell, M, Kassirer, JP. Alternative medicine — the risks of untested and unregulated remedies. N Engl J Med 1998; 339:839-41.

7. Jarvis WT. quoted in: Berry, JH. Emphasis. Questionable care : what can be done about dental quackery? JADA 1987; 115:679-85.

8. Holistic Dental Association. Holistic/Alternative Dentistry. Available from: URL: http://www.holisticdental.org .

9. Dolman, B. Holistic dentistry: principled philosophy or scam? J Can Dent Assoc 1997; 63:241.

10. Holistic dentistry [Letters to the editor]. J Can Dent Assoc 1997; 63:416-8, 468.

11. Eskinazi D. Methodological considerations for research in traditional (alternative) medicine. Oral Surg Oral Med Oral Pathol Oral Radiol Endod 1998; 86:678-81.

12. Sackett DL, Richardson WS, Rosenberg W, Haynes RB. Evidence-based medicine: how to practice and teach EBM. Edinburgh, Scotland: Churchill Livingstone; 1996.

13. Guyatt GH, Sackett DL, Sinclair JC, Hayward R, Cook DJ, Cood RJ. Users’ guides to the medical literature, IX: a method for grading health care recommendations. Evidence-Based Medicine Working Group. JAMA 1995; 274:1800-4.

14. Shermer M. Why people believe weird things. Pseudoscience, superstition, and other confusions of our time. New York, W.H. Freeman & Co.; 1997.

15. Green CS. The fallacies of clinical success in dentistry. J Oral Med 1976; 31:52-5.

16. Huber PW. Galileo’s revenge. Junk science in the courtroom. New York, Basic Books, 1991.

17. Sebeslav J. Toxin factories: the truth about root canals. Healthy Living Guide, Canadian Health Reform Products Ltd.; 1997. p. 22-3.

18. Nelkin D. An uneasy relationship: the tensions between medicine and the media. Lancet 1996; 347:1600-3.

19. Coggon D, Cooper C. Fluoridation of water supplies. Debate on the ethics must be informed by sound sciences [editorial]. BMJ 1999; 319:269-70.

20. Quack Watch. Available from: URL: http://www.quackwatch.com .


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