Lavage et désinfection des mains

Michael John, MB, Ch.B., FRCP(C) •

© J Can Dent Assoc 2000; 66:546-7


Même si Oliver Wendell Holmes avait déjà établi que les mains des soignants jouaient un rôle dans la transmission de la fièvre puerpérale, ce fut le médecin hongrois Ignaz Semmelweiss qui, au milieu du XIXe siècle, le premier, démontra qu’il était possible de prévenir la propagation de cette maladie par le lavage des mains1. Il arrive fréquemment que les mains des travailleurs de la santé soient contaminées par des bactéries et des virus, et le lavage des mains est considéré comme la mesure qui, à elle seule, contribue le plus à éviter la propagation de ces agents pathogènes2. Dans le cadre de leurs activités quotidiennes, les travailleurs de la santé risquent d’être exposés aux pathogènes de patients infectés et de les transmettre ensuite à d’autres patients. Cette flore dite transitoire, qui est présente sur les mains contaminées des travailleurs de la santé, a ainsi été mise en cause dans de nombreuses épidémies. Bien que l’on possède moins de données sur la transmission des pathogènes en milieu dentaire, il est probable que la transmission y soit également répandue, étant donné le nombre de bactéries et de virus présents dans la bouche et le nasopharynx et compte tenu du potentiel de pulvérisation du sang et de la salive durant les procédures dentaires.

Conformité avec les lignes directrices sur le lavage des mains

Malgré ces préoccupations, la conformité avec les lignes directrices sur le lavage des mains laisse à désirer dans la plupart des milieux de soins, le taux de conformité ne dépassant habituellement pas 40 % du temps, même lors d’études contrôlées. Et bien que le taux de lavage des mains déclaré par les dentistes soit plus élevé, le taux de conformité au sein de ce groupe n’est pas pour autant optimal3. L’Association dentaire canadienne recommande de se laver les mains avec un savon germicide, avant et immédiatement après le port de gants4. Le fait de porter des gants n’élimine pas la nécessité de se laver les mains, car il peut y avoir contamination des gants à la suite de perforations ou contamination des mains après le retrait des gants5.

Étant donné les solides arguments en faveur du lavage des mains, on peut se demander pourquoi le taux de conformité demeure aussi bas dans les établissements de soins de santé. Un certain nombre de facteurs expliqueraient ce faible taux; mentionnons entre autres le nombre insuffisant de lavabos, les effets desséchants du lavage des mains sur la peau, la grande charge de travail et le faible niveau de risque perçu6-10. Bien que l’éducation continue soit un moyen utile d’accroître le taux de conformité, il est difficile de modifier un comportement et de maintenir ce nouveau comportement sans renforcement continu. Le taux de conformité des normes d’hygiène dépend également du temps qu’il faut pour bien se laver les mains par rapport au temps dont on dispose. Le lavage des mains11 pendant 15 secondes permet de détruire la charge microbienne de 100,6-1,1, alors qu’un lavage de 30 secondes permet une réduction de 101,8-2,8. Cependant, il arrive fréquemment que le lavage des mains dure moins de 10 secondes en pratique clinique12. Selon un modèle mathématique, il serait impossible d’obtenir un taux de conformité de 100 % sans pour autant compromettre les soins aux patients, étant donné le temps qu’exige le lavage des mains selon les lignes directrices actuelles13. Même si ce modèle a été validé dans une unité de soins intensifs, il en irait de même dans les cabinets dentaires, étant donné le nombre de patients qui y circulent et compte tenu des lignes directrices actuelles selon lesquelles le travailleur doit se laver les mains avant d’enfiler des gants et après les avoir retirés.

Désinfection avec des produits à base d’alcool

Il serait sans doute plus juste de considérer Semmelweiss comme le «père de la désinfection» plutôt que du lavage des mains, car la solution de chlorure de chaux qu’il a introduite était un puissant désinfectant, et non un savon. De nombreuses études montrent que des solutions contenant de 60 à 70 % d’alcool sont de puissants désinfectants cutanés. Ces préparations sont en effet plus efficaces que les savons antimicrobiens, en réduisant d’environ 104 la charge bactérienne sur les mains14,15. C’est ce qui explique que les composés à base d’alcool, avec ou sans autres agents antimicrobiens, soient devenus des désinfectants pour les mains de plus en plus populaires en Europe.

Comme nous l’avons mentionné précédemment, les programmes d’éducation visant à améliorer l’application des règles d’hygiène des mains n’ont permis d’obtenir, tout au mieux, que des résultats temporaires. Une façon, toutefois, d’améliorer le taux de conformité serait de trouver des moyens de réduire le temps devant être consacré à l’hygiène des mains, les travailleurs de la santé invoquant souvent le manque de temps comme un des principaux obstacles au lavage des mains. Selon Voss et Widmer, l’utilisation d’un gel à base d’alcool permet de réduire de 25 % le temps habituellement requis pour le lavage des mains16. De plus, comme l’usage d’antiseptiques à base d’alcool ne requiert ni installations de plomberie ni éviers, des distributeurs peuvent être placés à des endroits commodes, sans que cela n’occasionne de dépenses importantes. La dermatite de contact causée par l’effet irritant des savons et détersifs est un autre facteur qui nuit à la conformité avec les règles d’hygiène. Le taux de dermatite peut en effet dépasser 60 % chez les travailleurs de la santé qui doivent se laver les mains plus de 35 fois par quart de travail17, ce pourcentage incluant la plupart des dentistes qui suivent les lignes directrices actuelles sur le contrôle des infections17. Il est probable que les préoccupations suscitées par l’effet desséchant des produits à base d’alcool aient nui à l’adoption rapide de ces produits en Amérique du Nord; cependant, il existe aujourd’hui des désinfectants à base d’alcool avec émollients, pour prévenir le dessèchement de la peau. Lors d’un essai croisé randomisé visant à comparer des savons à des gels à base d’alcool, on a constaté que les gels produisaient une irritation et un dessèchement de la peau nettement moindres, autant selon des critères d’évaluation subjectifs qu’objectifs18. Enfin, des données de plus en plus nombreuses tendent à démontrer que l’introduction d’antiseptiques pour les mains à base d’alcool se traduit par une amélioration soutenue de la conformité avec les normes d’hygiène des mains. Pittet et coll. ont notamment constaté que le taux de conformité des normes d’hygiène des mains, dans un hôpital universitaire de Genève, était passé de 48 à 66 % à la suite de l’introduction d’un désinfectant pour les mains à base d’alcool, une amélioration qui s’est par ailleurs maintenue19. De même, Bischoff et coll. ont constaté que la présence de gels à base d’alcool au chevet des malades améliorait la conformité avec les lignes directrices sur l’hygiène des mains20.

Certaines mises en garde s’imposent toutefois concernant l’usage de produits à base d’alcool. Lorsque les mains ont été fortement contaminées par du sang ou des liquides organiques, le lavage régulier des mains s’impose. Pareille situation risque toutefois peu de se produire en pratique dentaire, où les travailleurs portent des gants pour tous les contacts avec les patients. Deuxièmement, le produit à base d’alcool doit être appliqué sur la totalité de la surface des mains et des doigts; comme la plupart des distributeurs libèrent environ 1 ml de produit, il se peut que les personnes qui ont de grosses mains doivent utiliser plus d’une dose à la fois. Larson et coll. ont par ailleurs démontré qu’une dose de 1 ml de produit à base d’alcool était beaucoup moins efficace qu’une dose de 3 ml; aucune donnée n’indique toutefois si cette différence est significative sur le plan clinique21.

Conclusion

Les désinfectants pour les mains à base d’alcool devraient être considérés comme un complément au lavage des mains dans les cliniques dentaires. Ces produits offrent certains avantages par rapport aux savons habituels : ils constituent des désinfectants plus efficaces; ils requièrent un temps de contact moins long; et ils risquent moins de causer des dermatites. Qui plus est, l’amélioration du taux de conformité des normes d’hygiène des mains, associée à l’usage de produits à base d’alcool, réduira le risque de transmission des infections en milieu dentaire.


Le Dr John est directeur de la Division du contrôle des infections, Sciences de la santé de London et Soins de la santé de St. Joseph, London (Ontario).

Écrire au : Dr Michael John, Microbiologie et immunologie, Centre des sciences de la santé de London, Campus Victoria, Site Westminster, 800, chemin Commissioners E., London, ON N6A 4G5. Courriel : michael.john@lhsc.on.ca.  

Les vues exprimées sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement les opinions et les politiques officielles de l’Association dentaire canadienne.


Références

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2. Larson EL, Bryan JL, Adler LM, Blane C. A multifaceted approach to changing handwashing behavior. Am J Infect Control 1997; 25:3-10.

3. McCarthy GM, Koval JJ, John MA, McDonald JK. Les mesures de contrôle des infections au Canada : les dentistes se conforment-ils aux recommandations? J Can Dent Assoc 1999; 65:506-11.

4. Association dentaire canadienne. Recommandations sur les mesures de prévention de la contamination. J Can Dent Assoc 1988; 54:383-4.

5. Doebbeling BN, Pfaller MA, Houston AK, Wenzel RP. Removal of nosocomial pathogens from the contaminated glove. Implications for glove reuse and handwashing. Ann Int Med 1988; 109:394-8.

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