Aspects pratiques de la prestation des soins en dentisterie gériatrique

• David Matear, BDS, BM.Sc., DDPH, M.Sc. •

Irwin Gudofsky, DDS, B.Sc. (Phm)

© J Can Dent Assoc 1999; 65:289-291

[Mise en marché des soins de santé bucco-dentaire auprès des personnes âgées

Stratégies de réussite| Éducation| Installations| Média| Matériel|

Obstacles aux soins dentairesAttitude des professionnels dentaires|

Conclusions|Réferénces]


À l’échelle mondiale, de 1963 à 1984, les personnes âgées ont consulté un dentiste moins que tout autre groupe d’âge.1 Selon l’Enquête sur la santé des Canadiens de 1978-1979, 67 p. 100 d’entre elles n’avaient pas consulté de dentiste depuis cinq ans.2 Une comparaison des personnes âgées canadiennes à leurs homologues américains et britanniques, sur une période de un ans, a permis d’établir que le taux de consultation (23 p. 100) était deux fois moins élevé au Canada qu’aux États-Unis et en Grande-Bretagne.3

Cependant, les études révèlent aussi que les attitudes à l’égard de la dentisterie sont peut-être en train d’évoluer. Plusieurs auteurs ont mentionné qu’à mesure que les personnes vieillissent, une situation plus positive peut se dégager puisqu’elles :3-5

l. seront plus instruites que les générations précédentes d’adultes âgés;

2. seront plus exigeantes quant au maintien et à la préservation de leurs dents naturelles;

3. auront les ressources financières pour satisfaire à leurs attentes.

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Mise en marché des soins de santé bucco-dentaire auprès des personnes âgées

Il est important que les dispensateurs actuels de soins de santé bucco-dentaire comprennent le vieillissement pour répondre aux besoins de cette population. Il y a une différence entre les besoins perçus et les besoins déterminés professionnellement des personnes âgées dentées.6

Kay7 a suggéré que divers types de besoins chez le patient dentaire (fonctionnels, psycho-sociaux, perçus et normatifs) existent et que la profession devrait intégrer ces besoins dans le cadre d’une approche holiste pour illustrer les avantages des soins dentaires prodigués à l’ensemble de la population. Elle prévient que, à défaut d’adopter cette approche, la valeur réelle des soins dentaires ne sera pas évidente, ce qui pourrait nuire au financement des soins de santé bucco-dentaire dans un environnement de la santé axé sur la concurrence.

Puisque la majorité des patients âgés évitent de consulter un dentiste parce qu’ils ne ressentent aucun besoin de traitement,8,9 la profession dentaire doit apprendre à mettre en marché ses services de façon à les attirer.

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Stratégies de réussite

Pour joindre efficacement cette population, on peut recourir à diverses stratégies. Avant tout, les dentistes et l’équipe dentaire devraient dispenser un service professionnel caractérisé par la sensibilité et l’empathie. L’équipe dentaire devrait être sensible aux conditions de vie de ces patients et adapter les plans de traitement en fonction de leur situation.

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Éducation

En participant à des projets éducatifs et en s’abonnant à des revues pertinentes, l’équipe dentaire améliorera beaucoup sa capacité de traiter efficacement les personnes âgées. Il est de la plus haute importance que les professionnels dentaires soient bien formés, compréhensifs, compatissants et sensibles aux besoins particuliers de la population d’âge mûr.

La profession dentaire devrait chercher à acquérir une formation en équipe interdisciplinaire pour mieux répondre à ces besoins. Au Canada, il faudrait peut-être créer un centre de ressources gériatriques ou une base de données sur des sujets gériatriques, accessibles à tous les dentistes en exercice, un peu comme le Centre d’éducation en gériatrie du Sud du Texas, qui sert de répertoire national des ressources éducatives en dentisterie gériatrique.10

L’éducation en matière de soins aux aînés doit toutefois être complétée par une expérience pratique de leur traitement dans divers milieux et au moyen du matériel dentaire approprié. Ce changement fondamental exigera un certain nombre d’initiatives, soit la modification du programme d’études de premier cycle au Canada, la modification du programme de formation des spécialistes et des cours de formation continue couvrant bien la dentisterie gériatrique.

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Installations

Les immeubles devraient être accessibles aux personnes handicapées physiques ou mentales, et les cabinets privés ou services de médecine dentaire devraient être conçus pour en faciliter l’accès. Voici certains facteurs importants dont il faut tenir compte :11

  • choisir avec soin et installer des panneaux pour soutenir la communication autonome chez le patient âgé;
  • utiliser des fauteuils fermes de hauteur standard et munis d’appuie-bras pour offrir un bon soutien;
  • assurer l’éclairage approprié de chaque pièce pour réduire au minimum toute désorientation ou confusion mentale;
  • agencer le mobilier de bureau pour favoriser et faciliter une bonne communication et un meilleur accès.

En outre, le cabinet dentaire devrait être accessible aux patients en fauteuil roulant et à ceux qui utilisent un déambulateur. Dans certains cas, les dentistes pourraient songer à équiper une salle opératoire pour traiter le patient dans son fauteuil roulant.

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Média

Il faudrait distribuer des bulletins et des documents éducatifs. Un certain nombre de cartes d’affaires ou de rendez-vous et de dépliants pourraient être imprimés en très gros caractères. Des documents éducatifs et de détente en gros caractères devraient être offerts dans la salle d’attente. Des articles sur la dentisterie gériatrique pourraient être publiés dans des magazines et des journaux destinés aux personnes âgées, et on pourrait prononcer des discours d’information devant des groupes communautaires pour manifester une volonté et une capacité de traiter des patients atteints d’une maladie débilitante.

Afin d’améliorer l’accès pour les adultes âgés, des projets semblables à celui qu’a entrepris le Service de la santé d’Ottawa-Carleton, qui a élaboré un livret adapté aux besoins des aînés où sont énumérés les dentistes et les organismes qui acceptent de traiter les patients gériatriques, pourraient être mis en oeuvre dans les grandes collectivités urbaines.12

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Matériel

Le matériel dentaire portatif peut servir à dispenser des services aux personnes âgées qui présentent une invalidité fonctionnelle à domicile ou dans des maisons de soins infirmiers. Ce matériel varie d’une malle à un cabinet portatif, aménagé soit dans une fourgonnette soit dans une pièce libre d’une maison de soins infirmiers. L’investissement dépendra de la quantité de travail disponible et du lieu où le service est dispensé. Il sera modeste si le dentiste veut compléter son exercice en assurant un service à domicile; par contre, il sera complexe et exhaustif s’il envisage une transition stratégique vers le traitement gériatrique dans les maisons de soins infirmiers. Il est, de toute évidence, essentiel d’acquérir formation et expérience pour utiliser le nouveau matériel portatif avant d’entreprendre de s’engager à dispenser ce type de service.

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Obstacles aux soins dentaires

Depuis plusieurs années, on étudie les obstacles aux soins dentaires dans les populations adultes.13 Récemment, on a constaté que l’importance des obstacles varie selon divers segments de la population. Penchansky et Thomas14 définissent ces obstacles comme la disponibilité, l’accessibilité, l’accueil, l’abordabilité et l’acceptabilité.

Les obstacles aux soins dentaires surgissent à la fois chez les personnes avec ou sans invalidité fonctionnelle qui vivent chez elles ou en établissement. Le principal obstacle est la perception d’un besoin de soins de santé bucco-dentaire. Malgré une plus grande fréquentation des cabinets dentaires,1 les personnes de 65 ans et plus sont encore aujourd’hui les moins susceptibles de recourir aux soins dentaires (exception faite des enfants de moins de six ans).15 Tant qu’elles n’éprouvent aucune douleur, n’ont pas de mal à s’alimenter ou n’ont pas été humiliées en public, la majorité des personnes âgées dentées ou édentées estiment ne pas nécessiter de soins dentaires.16,17

Les personnes âgées en établissement ont un besoin normatif supérieur et perçu inférieur à celui des groupes qui présentent des invalidités moins prononcées.18

Les autres obstacles comprennent l’état fonctionnel et médical de la personne, les difficultés de transport et d’accessibilité, les considérations financières, les modes antérieurs de recours aux services dentaires, le manque d’instruction et la peur.19,20

Il importe donc que l’enseignement en dentisterie gériatrique comprenne non seulement les aspects cliniques et pratiques du traitement des personnes âgées, mais aussi ses aspects sociaux, environnementaux, psychologiques, comportementaux et financiers.

Les attitudes des dentistes à l’égard du traitement des patients âgés peuvent aussi constituer des obstacles. Nous devons être conscients que la demande en soins gériatriques dépassera sous peu et de loin le nombre de dentistes qui sont actuellement aptes et disposés à dispenser ce type de soins.

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Attitude des professionnels dentaires

Pourquoi le taux d’utilisation des soins dentaires par les personnes âgées est-il relativement faible malgré les besoins perçus et normatifs? Pourquoi n’a-t-on pas ciblé ce marché? Pourquoi les étudiants en médecine dentaire ne sont-ils pas davantage disposés à combler ce vide?

Voici certains éléments de réponse à ces questions :

  • manque d’expérience et peur au moment de traiter des problèmes gériatriques;
  • manque d’incitatifs financiers;
  • problèmes d’accès et de transport au cabinet dentaire;
  • problèmes particuliers à l’exercice de la dentisterie auprès de patients à domicile ou en établissement;
  • attitudes négatives à l’égard des besoins dentaires des personnes âgées, ainsi qu’à l’endroit de leur perception et de leur motivation réduites par rapport aux soins bucco-dentaires;
  • le mauvais état de santé bucco-dentaire des personnes âgées, entraînant une édentation ou une parodontopathie;
  • les difficultés de traitement des maladies débilitantes et aiguës;
  • le problème du consentement éclairé et des attitudes négatives des membres de la famille ou du personnel de l’établissement résidentiel.21

Pour traiter les personnes âgées, il faut comprendre leurs situations médicales, psychologiques et financières et y être sensible. Notre système d’enseignement devra s’y adapter. Les structures d’enseignement et d’exercice traditionnelles actuellement en place répondent essentiellement aux besoins d’une population riche et en bonne santé.22 Il faudra créer une infrastructure qui rend compte de ces situations. Contrairement aux États-Unis, où un certain nombre de programmes existent déjà, le Canada ne s’est pas encore attaqué au problème sur le plan de l’enseignement de premier, de deuxième et de troisième cycles. Il importe de tirer une leçon de ces expériences pour assurer la réussite des prochaines transitions stratégiques en matière d’enseignement dentaire.

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Conclusions

Il ne suffit pas de décrire les questions de dentisterie gériatrique. Tout en nous préparant au nouveau millénaire, nous devons trouver des solutions aux problèmes actuels, non seulement dans une perspective d’exercice de la médecine dentaire, mais aussi d’un point de vue politique et éducatif. À mesure que la population vieillit et qu’une proportion croissante de celle-ci est placée en établissement ou confinée à domicile, le sous-traitement des caries, les parodontopathies et les édentations partielles et complètes risquent d’augmenter. Le danger de perdre ses dents pour causes financières, comportementales et médicales, après en avoir bien pris soin pendant l’enfance et la vie adulte, est bien réel.

Le fardeau de la dentisterie gériatrique échoit aux dentistes en pratique privée et aux rares praticiens qui dispensent des soins en établissement. Une approche intégrée est cruciale au maintien d’un niveau acceptable de santé chez les personnes âgées en établissement. Un soutien médical coordonné est capital, tout comme le soutien des diverses spécialités dentaires. Les échanges avec le médecin de famille et d’autres professionnels de la santé comme les pharmaciens, les physiothérapeutes et les dispensateurs de soins, sont aussi essentiels. Enfin, un nombre approprié d’hygiénistes, d’assistantes dentaires et d’administrateurs est de la plus haute importance.

Le manque de fonds gouvernementaux implique des compressions budgétaires en dentisterie gériatrique que ce soit au niveau des programmes de formation qu’à celui des soins dentaires. Idéalement, il faudrait appliquer des politiques gouvernementales plus généreuses pour permettre le remboursement et la prestation des services de santé bucco-dentaire à une population de personnes âgées qui présentent des invalidités fonctionnelles et ne peuvent accéder aux services de santé bucco-dentaire de manière traditionnelle. Les universités doivent aller au-delà des références creuses et répondre aux préoccupations gériatriques à tous les niveaux d’enseignement : elles doivent reconnaître, comme il se doit, la dentisterie gériatrique évolutive comme partie intégrante de leurs programmes.

Les établissements de soins de longue durée affiliés à une université devraient peut-être devenir des centres universitaires et de ressources qui favorisent la recherche et l’enseignement de la gériatrie.23

Les services dentaires de ces établissements devront peut-être amorcer leur intégration au système universitaire, sensibiliser les personnes âgées à leurs besoins bucco-dentaires et organiser des programmes de formation et d’enseignement à l’intention de l’équipe dentaire, des étudiants en médecine dentaire et des dispensateurs de soins qui oeuvrent dans ces établissements. Le contact entre les étudiants et ces établissements conférerait énormément de crédibilité aux écoles dentaires et améliorerait les programmes grâce au surcroît de ressources disponibles.

Enfin, ces établissements pourraient entreprendre l’élaboration de programmes de recherche en soins dentaires à l’intention des personnes âgées. En effet, des recherches s’imposent pour déterminer les diverses possibilités de prestation, les modalités de traitement spécifiques et les lignes directrices appropriées en matière de soins. Des essais cliniques sur d’anciens et de nouveaux produits dentaires sont également nécessaires pour comprendre et prouver leur efficacité ainsi que faciliter la compréhension des effets du vieillissement sur la santé bucco-dentaire. Les stratégies décrites précédemment, de même qu’une meilleure défense des droits des personnes âgées, favoriseront peut-être la formulation de politiques de soutien financier à ce groupe croissant de la population, tout en favorisant son accès aux services de santé bucco-dentaire dont il a besoin.

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Le Dr Matear est chef de la dentisterie au Centre gériatrique Baycrest, North York (Ontario) et chargé de cours au Département de la dentisterie communautaire, Université de Toronto.

Le Dr Gudofsky est dentiste généraliste à la retraite, North York (Ontario).

Demandes de tirés à part : Dr Matear, Baycrest Centre for Geriatric Care, 3560, rue Bathurst, North York ON M6A 1E2.

Les vues exprimées sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement les opinions et les politiques officielles de l’Association dentaire canadienne.

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Références

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