Sommaires Cliniques
La section des sommaires cliniques du JADC regroupe des sommaires et des résumés extraits de publications dentaires révisées par des pairs. Elle a pour objectif d’offrir aux lecteurs du JADC un aperçu des articles récemment publiés qui touchent l’exercice de la dentisterie. La sélection de ce mois-ci se compose d’articles portant sur les conduites d’eau des unités dentaires (CUD). Ces articles, ici résumés, ont été choisis par le Dr Edward Putnins, du Département des sciences biologiques et médicales de la cavité buccale, de l’Université de la Colombie- Britannique. Le Dr Putnins formule, à l’intention des lecteurs, un commentaire qui met ces articles en contexte.

Commentaire 

La contamination des CUD : Questions en cours
Edward E. Putnins, DMD, Dip Perio, MRCD(C), M.Sc., PhD

La contamination des CUD est une question qui continue de susciter un grand intérêt, en raison des inquiétudes qui persistent au sujet des niveaux de micro-organismes et de la formation de biofilms microbiens. Les échantillons d’eau prélevés des unités dentaires ont tendance à présenter un taux de contamination par des micro-organismes hétérotrophes supérieur au niveau que l’on juge sans danger pour les personnes immunodéprimées. Dans cette discussion sur la qualité de l’eau et les risques pour les patients, trois questions connexes doivent aussi être examinées : les procédures d’évaluation de la qualité de l’eau, la qualité de l’eau pour les interventions chirurgicales dentaires, et le choix et l’utilisation des produits.

Procédures d’évaluation de la qualité de l’eau. Théoriquement, la numération des bactéries hétérotrophes récupérées dans les échantillons d’eau des unités dentaires devrait se situer à moins de 200 UFC/ml. Cependant, le nombre de micro-organismes dénombrés peut varier sensiblement selon les techniques utilisées pour l’analyse des échantillons d’eau en laboratoire (sélection du milieu de culture, durée et température d’incubation). Les services qui font l’analyse de l’eau utilisent donc des méthodes normalisées pour évaluer la qualité de l’eau. Les organismes professionnels dentaires devraient eux aussi établir des protocoles d’analyse de l’eau qui s’appuient sur ces méthodes et informer les dentistes de l’existence de tels protocoles.

Qualité de l’eau pour les interventions dentaires chirurgicales. Certains organismes ont proposé d’utiliser de l’eau stérile pour les chirurgies dentaires. Cependant, une partie du problème réside dans la définition de ce qu’est une chirurgie dentaire; étonnamment, les praticiens ont des avis très partagés sur cette question. Il faut également s’entendre sur la qualité de l’eau stérile à utiliser. Alors que la littérature parle essentiellement de la numération microbienne, le dénombrement des bactéries n’est peut-être pas un indicateur suffisant lorsqu’il s’agit d’évaluer la qualité de l’eau à des fins chirurgicales. La présence de produits bactériens dans l’eau (p. ex., des endotoxines) peut être élevée, et ces substances peuvent avoir des effets pyrogènes locaux ou systémiques sur les cellules. Enfin, il faut tenir compte des systèmes d’alimentation et s’assurer que l’eau stérile est acheminée dans des conditions stériles. Il est en effet peu probable que l’eau demeure stérile si elle circule dans des tubulures non stériles. Il est probable également que le fait de laisser de l’eau stérile non chlorée dans des tubulures dentaires standards non stérilisées aura pour effet d’accroître sensiblement la contamination microbienne, vu l’absence de chlore et de son effet antibactérien.

Sélection et utilisation des produits. La dentisterie organisée encourage les fabricants à mettre au point des produits pour résoudre le problème de la contamination des CUD. Heureusement, des progrès ont été réalisés dans ce domaine. Les dentistes sont toutefois invités à faire preuve d’un optimisme prudent face à l’abondance de produits qui leur sont proposés. Ils doivent ainsi s’assurer que l’efficacité et l’innocuité des produits et des techniques de désinfection ont été établies et que leur vente a été approuvée au Canada. Ces produits et techniques doivent également être en mesure de fournir de l’eau de la qualité désirée, que ce soit pour des interventions chirurgicales ou non chirurgicales. Enfin, les dentistes doivent s’assurer de suivre les directives du fabricant, relativement à l’utilisation et à l’entretien des dispositifs proposés, sans quoi le niveau de contamination bactérienne de l’eau risque d’être encore plus élevé.

Les vues exprimées sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement les opinions et les politiques officielles de l’Association dentaire canadienne.

1 Quelle est la nature et l’importance des biofilms qui se forment dans les CUD?

Barbeau J, Gauthier C, Payment P. Biofilms, infectious agents, and dental unit waterlines: a review. Can J Microbiol 1998; 44:1019- 28

Objectif

Avec le vieillissement de la population, diverses maladies chroniques et débilitantes pouvant affaiblir le système immunitaire et rendre les personnes plus sensibles aux maladies infectieuses ont fait leur apparition. On constate également que les infections opportunistes sont en hausse depuis quelques années. De plus, avec l’apparition de maladies comme le sida et des infections résistantes aux antibiotiques, il est devenu essentiel de mieux comprendre le lien entre les organismes opportunistes et leur environnement.

Méthodes

Examen narratif des études publiées sur les biofilms et les bactéries d’origine hydrique comme sources d’infections nosocomiales.

Résultats

Les pathogènes responsables des infections nosocomiales peuvent exister à l’extérieur du corps humain et ces organismes résistent aux antimicrobiens. On peut ainsi retrouver de faibles concentrations de pathogènes opportunistes dans l’eau potable. De plus, l’environnement aquatique que procure certains appareils médicaux est propice à la prolifération de certains types de bactéries Gram négatif.

La plupart des chercheurs estiment que Pseudomonas aeruginosa, Legionella pneumophila et les mycobactéries non tuberculeuses présents en faibles concentrations dans l’eau potable sont des pathogènes. Ceux-ci sont responsables de plus de 10 p. 100 des infections nosocomiales; ils se développent dans les biofilms et résistent aux méthodes de désinfection courantes.

Les CUD sont fortement colonisées, parce que la tubulure est étroite, l’eau provient essentiellement des réseaux d’approvisionnement municipaux et les conduites ne sont pas désinfectées régulièrement. Les groupes de la population les plus sensibles aux pathogènes d’origine hydrique sont les patients souffrant de fibrose kystique ou du sida, les personnes âgées et les malades chroniques, ainsi que les membres de la profession dentaire qui sont régulièrement exposés à des aérosols chargés de pathogènes.

Importance clinique

Les solutions proposées pour résoudre le problème de contamination doivent être proportionnelles au niveau de risque. Il faut donc entreprendre des recherches pour évaluer le risque d’infection associé aux micro-organismes véhiculés par les CUD. Le nombre total de bactéries ne peut être utilisé comme seul indicateur du niveau de risque, car ceci ne constitue pas une mesure adéquate du pouvoir pathogène de l’eau.

2 Combien de bactéries et d’espèces peut-on isoler des CUD?

Barbeau J, Tanguay R, Faucher E, Avezard C, Trudel L, Côté L et Prévost AP. Multiparametric analysis of waterline contamination in dental units. Appl Environ Microbiol 1996; 62:3954-9

Objectif

Cette étude porte sur la dynamique de la colonisation bactérienne des CUD, en regard de l’identification, de la distribution et de la fluctuation des espèces.

Méthodes

Des échantillons d’eau ont été prélevés de 121 unités dentaires de la Faculté de médecine dentaire de l’Université de Montréal, certaines étant des unités nouvellement installées et jamais encore utilisées. Des échantillons d’eau du robinet ont aussi été prélevés comme échantillons témoins.

Les échantillons ont été recueillis au début de la journée de travail, puis après avoir purgé les conduites pendant deux minutes. Les bactéries ont été mises en culture et identifiées suivant diverses caractéristiques. Dans trois unités dentaires, l’eau a constamment été échantillonnée au début de la journée, afin d’examiner les fluctuations dans le nombre total de bactéries et dans la proportion des espèces bactériennes prédominantes.

Résultats

Toutes les conduites d’eau étaient contaminées; cependant, des différences significatives ont été observées entre les échantillons prélevés au début de la journée et ceux prélevés après une purge de deux minutes. On a aussi observé des différences entre l’eau provenant de la turbine et l’eau extraite de la seringue à air et eau. Les variations aléatoires ont été observées principalement entre les mesures (80 p. 100) et les unités (20 p. 100).

Dans le cas des conduites d’eau nouvellement installées, le niveau de contamination a atteint son sommet en moins de cinq jours. P. aeruginosa a montré une distribution non aléatoire, près de 90 p. 100 de tous les isolats provenant de seulement trois des neuf cliniques testées.

De plus, les unités dentaires contaminées par P. aeruginosa ont obtenu une numération bactérienne totale nettement supérieure aux dénombrements observés dans les autres unités. À titre de comparaison, P. aeruginosa n’a été isolé d’aucun échantillon d’eau du robinet — que l’eau ait été prélevée à proximité ou loin des conduites contaminées.

Importance clinique

Les CUD forment en quelque sorte un écosystème dans lequel les pathogènes opportunistes colonisent les surfaces, ce qui a pour effet d’élever la concentration d’organismes pathogènes dans l’eau à des niveaux potentiellement dangereux. Par ailleurs, moins une conduite d’eau est utilisée, plus le risque de contamination par P. aeruginosa est grand. Le fait de purger les conduites d’eau pendant plusieurs minutes réduit de façon significative la numération bactérienne. Les auteurs estiment toutefois que la durée de purge nécessaire pour abaisser la concentration bactérienne à 500 UFC/ml constitue une exigence difficilement applicable dans un cabinet dentaire.

3 Quelle est la prévalence des espèces de Legionella dans les CUD?

Atlas RM, Williams JF, Huntington MK. Legionella contamination of dental-unit waters. Appl Environ Microbiol 1995; 61:1208-13

Objectif

Le taux d’infections respiratoires est plus élevé chez les dentistes et le personnel des cabinets dentaires que dans la population en général. Certains ont émis l’hypothèse que la contamination des CUD par des espèces de Legionella pourrait être un facteur important dans ce taux élevé d’infection. La présente étude vise à déterminer le niveau de contamination par Legionella de l’eau des unités dentaires et de le comparer au niveau de contamination des réseaux d’approvisionnement en eau potable.

Méthodes

Les techniques de dépistage par sonde génétique PCR, immunofluorescence et numération sur plaques des organismes viables ont été utilisées pour analyser 265 échantillons d’eau prélevés dans 28 cliniques dentaires de six régions des États-Unis, en vue de déceler la présence de Legionella pneumophila et d’autres espèces de Legionella.

Résultats

Avec la méthode par PCR, des organismes des espèces Legionella ont été décelés dans 68 p. 100 des échantillons prélevés des CUD, et L. pneumophila a été isolé dans 8 p. 100 de ces échantillons. Des concentrations de Legionella de 1000 organismes par ml ont été observées dans 36 p. 100 des échantillons d’eau des unités dentaires et des concentrations atteignant 10 000/ml ont été décelées dans 19 p. 100 de ces échantillons.

Aucun échantillon n’a présenté une concentration de L. pneumophila atteignant 1000/ml. Les analyses microscopiques ont révélé que la contamination provenait des conduites d’eau et non des pièces à main. Des espèces de Legionella ont été isolées dans 61 p. 100 des échantillons d’eau potable prélevés à des fins de comparaison, ce taux de contamination ne présentant pas de différence significative avec le taux de contamination des CUD. Les espèces de Legionella n’ont atteint des concentrations de 1000 organismes par ml que dans 4 p. 100 des échantillons d’eau potable, et aucun échantillon n’a indiqué une concentration de 10 000 organismes par ml. On constate donc que les niveaux de contamination par Legionella, qui présentent un danger pour la santé, sont beaucoup moins fréquents dans l’eau potable que dans les CUD.

Importance clinique

L’eau des unités dentaires constitue une source potentielle d’exposition à des organismes de l’espèce Legionella. Bien qu’il soit difficile d’établir une relation de cause à effet, les auteurs croient que les aérosols des CUD pourraient présenter un risque pour certaines personnes.

4 Les patients souffrant de fibrose kystique peuvent-ils être contaminés par P. aeruginosa provenant des CUD?

Jensen ET, Giwercman B, Ojeniyi B, Bangsborg JM, Hansen A, Koch C et coll. Epidemiology of Pseudomonas aeruginosa in cystic fibrosis and the possible role of contamination by dental equipment. J Hosp Infect 1997; 36:117-22

Objectif

Les patients atteints de fibrose kystique souffrent souvent d’infections pulmonaires dues à P. aeruginosa, mais on en ignore la provenance. Cette étude a pour but de déterminer si la contamination par P. aeruginosa des patients atteints de fibrose kystique pourrait être due à l’équipement dentaire.

Méthodes

Des analyses bactériologiques ont été faites sur 103 échantillons d’eau prélevés durant 25 séances de traitement dentaire pratiquées sur des patients ne souffrant pas de fibrose kystique, dans les cliniques dentaires municipales de Frederiksberg (Danemark). On a aussi analysé 327 échantillons d’eau prélevés lors de consultations pour 83 patients atteints de fibrose kystique, dans les cliniques de diverses villes du Danemark.

Résultats

Trois pour cent des échantillons prélevés à Frederiksberg ont donné des résultats positifs au test de dépistage de P. aeruginosa. Dix-huit des autres échantillons prélevés au Danemark (5,5 p. 100) durant neuf séances de traitement (11 p. 100) ont été positifs. Dans un cas, des souches identiques de P. aeruginosa ont été découvertes dans l’eau provenant du matériel dentaire et dans les expectorations de patients atteints de fibrose kystique.

Importance clinique

Il existe un faible risque de contracter P. aeruginosa lors d’un traitement dentaire, mais ce risque est égal au risque «naturel» annuel (1 à 2 p. 100) d’être contaminé par P. aeruginosa dans un centre traitant des malades atteints de fibrose kystique.

5  Quel est le risque potentiel pour la santé associé aux micro-organismes hétérotrophes isolés de l’eau potable?

Edberg SC, Kops S, Kontnick C et Escarzaga M. Analysis of cytotoxicity and invasiveness of heterotrophic plate count bacteria (HPC) isolated from drinking water on blood media. J Appl Microbiol 1997; 82:455-61

Objectif

Des bactéries hétérotrophes sont présentes dans tous les milieux hydriques. Ces bactéries prolifèrent dans l’eau potable, et plus particulièrement dans les contenants fermés. Cette étude a été réalisée dans le but d’estimer le risque pour la santé que présentent ces bactéries d’origine naturelle, en déterminant leur cytotoxicité pour les cellules humaines et leur pouvoir envahissant dans ces cellules.

Méthodes

Des bactéries hétérotrophes ont été isolées d’échantillons d’eau en bouteille et d’eau du robinet. Toutes les bactéries ont été examinées à différentes phases de leur cycle de croissance. Le liquide surnageant du bouillon de culture a aussi été analysé, comme témoin.

Résultats

Les bactéries hétérotrophes d’origine naturelle présentent un faible pouvoir envahissant et une faible cytotoxicité, plus de 95 p. 100 des échantillons donnant des résultats équivalents à ceux du liquide surnageant du bouillon de culture. En outre, lorsqu’on a observé un pouvoir envahissant ou une cytotoxicité, un petit nombre seulement de cellules ont été positives. Les bactéries hétérotrophes en phase active de croissance ont affiché un niveau de cytotoxicité et un pouvoir envahissant nettement supérieurs à ceux des bactéries en phase stationnaire. Les échantillons témoins ont souvent affiché une grande cytotoxicité.

Importance clinique

Il existe peu de données documentées selon lesquelles les organismes hétérotrophes ont des effets néfastes sur la santé. Les futurs règlements sur l’eau devraient viser à éliminer certains pathogènes précis, de même que la contamination exogène.

6 Quelle est l’incidence sur la santé de la contamination des CUD, en regard des nouvelles technologies disponibles?

ADA Council on Scientific Affairs. Dental unit waterlines: approaching the year 2000. J Am Dent Assoc 1999; 130:1653-64

Objectif

Cet article fait le point sur la formation de biofilms dans les CUD et examine l’impact éventuel de ce phénomène sur la santé. On y fait également une revue des recherches actuelles menées dans ce domaine et des moyens présentement disponibles pour réduire la contamination.

Méthodes

Cet article présente les conclusions d’un groupe d’experts mis sur pied par le conseil d’administration de l’Association dentaire américaine (ADA).

Résultats

Les CUD sont un milieu propice à la formation de biofilms, en raison du petit calibre de la tubulure et des longues périodes durant lesquelles l’eau y séjourne. De plus, c’est à l’extrémité de la tubulure que le débit d’eau est le plus faible. Il arrive souvent que des organismes se détachent du biofilm et pénètrent à l’intérieur de la bouche du patient, par le biais des pièces à main dentaires ou de la seringue à air et eau. Dans les unités non traitées, la densité de micro-organismes sur le biofilm peut atteindre jusqu’à plusieurs millions d’organismes par millilitre.

Le problème de la formation de biofilms et de la contamination bactérienne des conduites d’eau est apparu dans la littérature dentaire il y a trente ans. L’intérêt accru que suscite cette question depuis quelques années s’explique par l’augmentation du nombre de patients immunodéprimés qui consultent le dentiste.

Depuis la première réunion du groupe d’experts de l’ADA sur les conduites d’eau, en 1995, un grand nombre de produits ont été mis au point en vue d’améliorer la qualité de l’eau utilisée lors de traitements dentaires. Ces produits se divisent en quatre catégories principales : systèmes indépendants d’alimentation en eau (ne semblent pas efficaces en soi), protocoles de traitement chimique (avant d’installer ces systèmes de traitement, les dentistes doivent s’assurer auprès des fabricants qu’ils sont compatibles avec leur matériel), filtres au point d’utilisation (doivent probablement être utilisés en association avec d’autres méthodes) et systèmes d’alimentation en eau stérile (coûteux et peu pratique).

Importance clinique

La profession doit être consciente des effets que la contamination microbienne des CUD peut avoir sur la santé des patients et intensifier ses efforts en vue d’améliorer la qualité de l’eau des unités dentaires. Il faut aussi poursuivre la recherche sur l’incidence de la formation de biofilms dans les CUD.

Cet article qui décrit la position de l’Association dentaire américaine de 1995 sur la contamination des conduites d’eau des unités dentaires a été publié dans un numéro du JADA en 1996 : Shearer BG. Biofilm and the dental office. J Am Dent Assoc 1996; 127:181-9.