La restauration de la denture défaillante

• John Carpendale, B.Dent.Sc., MSD, Dip. Pros. •

© J Can Dent Assoc 1999; 65:576-8


[Les Caries radiculaires |Les caries secondaires|Les principles de gestion |Rapport de cas|Conculsion |Références] 

Au seuil du nouveau millénaire, on parle beaucoup du déclin de la carie parmi les jeunes et des conséquences que ce déclin pourra avoir à long terme sur la profession. On a cependant tendance à oublier notre population âgée qui possède souvent des dentures abondamment restaurées. Aussi la gestion des restaurations défectueuses deviendra-t-elle un problème de plus en plus grand pour la profession. Dans nombre de cas, les caries secondaires (ou récidivantes) entraîneront la perte de dents. En effet, la détection des caries secondaires adjacentes aux restaurations radio-opaques reste un défi pour notre profession.

Le patient qui a une denture restaurée défaillante se présente chez le dentiste pour l’une ou plusieurs des raisons suivantes1 :

• de la douleur, touchant ordinairement la bouche, le visage ou l’articulation temporo-mandibulaire

• une incapacité à fonctionner, qui peut être totale (c.-à-d. la denture est inutilisable) ou localisée (comme des maux de dents, des dents très mobiles ou des problèmes d’élocution)

• une insatisfaction vis-à-vis de l’esthétique

• des dents ou des restaurations brisées

• de l’enflure

• un mauvais goût dans la bouche

• une haleine fétide, remarquée par autrui

• des gencives qui saignent

• de l’angoisse, pouvant être soit principalement d’origine dentaire (par exemple, des dents ou des restaurations perdues), soit d’origine psychogène mais aggravée par un traitement dentaire.

En outre, le patient peut n’avoir aucun symptôme, mais avoir été adressé au dentiste à cause d’un problème de restauration.

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Les caries radiculaires

Pour les professions dentaires, les caries radiculaires constituent un nouveau défi à cause du nombre croissant d’adultes de plus en plus âgés qui ont conservé plusieurs ou toutes leurs dents2. Les éléments de risque pour ce genre de caries tiennent à des facteurs à la fois intra-buccaux et environnementaux, ce qui rend leur gestion complexe et multidisciplinaire3. Les caries peuvent se situer sous les restaurations, aux marges des restaurations ou sur les racines.

Les caries de surface radiculaire sont fortement associées au retrait des gencives et aux poches parodontales. Dans une étude portant sur 196 sujets dentés ayant un âge moyen de 79,3 ans, on a découvert des caries de surface radiculaire chez 52 p. 100 des hommes et 35 p. 100 des femmes4.

Curieusement, il y avait une corrélation négative statistiquement importante entre l’impact de l’incidence des caries de surface radiculaire et le nombre de médicaments pris quotidiennement.

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Les caries secondaires

Schwartz et coll.5 de même que Randow et coll.6 ont rapporté tous deux que la carie est la cause d’échec la plus fréquente (36 p. 100; 18,3 p. 100) des restaurations existantes. En 1993, Glantz et coll.7 ont rapporté que, sur 77 ponts examinés après 15 ans, 32,5 p. 100 ont dû être enlevés. Sur ce nombre, 9,6 p. 100 l’ont été parce que les caries des piliers ne pouvaient pas être traitées. Dans un second rapport, Glantz et Nilner8 ont fait remarquer que l’incidence de la carie n’était pas reliée à l’âge du patient, mais plutôt à la période de temps que le pont avait été fonctionnel.

Souvent, dans une discussion sans fin avec le patient, on se demande si les caries ne sont pas dues à des couronnes mal ajustées. Du point de vue de la gestion, cependant, le point important est que le patient montre une prédisposition à la carie. Les patients avec des couronnes mal ajustées n’ont pas tous des caries, pas plus que les couronnes bien ajustées assurent une immunité contre la carie pour la structure dentaire qui reste. Néanmoins, Karlsson9 a rapporté que l’incidence de la carie autour des couronnes avec des marges mal adpatées est plus élevée comparée à celle des couronnes avec de bonnes marges.

Une évaluation de la prédisposition à la maladie et de son contrôle est essentielle avant de formuler un plan de traitement définitif. Malheureusement, comme le soulignent clairement Bibby10 de même que Anderson et coll.11, les prédicteurs diagnostiques pour la carie dentaire sont pauvres.

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Les principes de gestion

Quand une restauration devient défectueuse à cause de caries secondaires, on doit souvent la remplacer. Afin de réduire la possibilité qu’il y en ait d’autres, il est essentiel de recourir à des procédures cliniques minutieuses et de savoir comment le problème initial s’est produit. On ne saurait négliger les principes fondamentaux liés à la conception de la préparation, les procédures d’empreinte soignées et précises, et leur rôle dans la production d’une restauration ajustée avec précision.

L’usage du fluorure dans de multiples mesures a un impact important sur la prévention de la carie. Ces mesures comprennent la fluoruration des eaux publiques, les traitements au fluorure professionnels chez le dentiste et l’usage de dentifrices fluorurés efficaces chez soi, ainsi que l’usage de rince-bouches et de gels fluorurés comme traitement d’appoint au besoin. Dans de nombreuses situations cliniques, le jugement professionnel s’impose pour déterminer les mesures de traitement les plus appropriées en vue de répondre aux besoins de chaque patient. La prévention fondée sur un ensemble de facteurs de risque constitue le mode de gestion le plus souhaitable.

Les patients qui ont des caries peuvent être traités avec des stratégies de reminéralisation, des techniques de refaçonnage, des restaurations intracoronaires de toutes sortes de matériaux connus et récemment offerts sur le marché, ou des restaurations extra-coronaires12.

Souvent, malgré un entretien soigné et minutieux, une restauration peut être défaillante. La perte de dents rend souvent impossible le remplacement d’une restauration à l’aide d’un autre appareil fixe. La transition d’un appareil de prosthodontie fixe à un appareil amovible est alors difficile, mais inévitable. Le rapport de cas qui suit illustre le principe général d’une telle transition.

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Rapport de cas

La patiente, une femme de 59 ans, s’est présentée pour une consultation au sujet de l’état des dents supérieures qui lui restaient (Ill. 1). Elle soupçonnait avoir des caries secondaires, craignant en plus d’être obligée de porter un appareil amovible (Ill. 2), et c’est ce qui avait motivé sa visite.

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Illustration 1 : Vue frontale de la denture de la patiente en se présentant chez le dentiste. Illustration 2 : Vue palatale de la denture de la patiente en se présentant chez le dentiste. Illustration 3 : Vue palatale de la denture de la patiente après enlèvement du pont fixe.

Cliniquement, une carie était décelable aux marges palatales de la denture supérieure restaurée. La patiente était partiellement édentée au maxillaire et à la mandibule. Le maxillaire supérieur avait été restauré à l’aide d’un pont fixe, et les parties édentées de la mandibule l’avaient été à l’aide d’une prothèse partielle amovible à armature coulée.

Pour calmer l’angoisse de la patiente, on a décidé d’examiner l’état des dents non décelable à l’interprétation des radiographies, tout en prévoyant qu’elle quitterait le cabinet avec une prothèse partielle fixe provisoire. L’enlèvement des couronnes existantes a révélé que l’incidence de la carie était plus grande qu’on ne l’avait cru d’abord. On n’a pas alors éliminé toutes les caries (Ill. 3), étant donné qu’on aurait détruit la structure dentaire disponible et qu’on n’aurait pas pu poser la prothèse partielle fixe provisoire. De concert avec la patiente, on a décidé d’orienter le traitement de manière à sauver des dents pour soutenir une prothèse hybride et à pouvoir poser une prothèse supérieure complète immédiate.

À l’aide d’un ruban de renforcement d’une largeur de 2 mm (Connect, Kerr Manufacturing Co., Orange, CA), on a fabriqué une prothèse partielle fixe provisoire (Integrity, Dentsply/Caulk, Milford, DE) et on l’a posée à l’aide d’un ciment de scellement provisoire (Temp-Bond, Kerr Manufacturing Co., Orange, CA).

Il était évident que le respect des règles d’hygiène dentaire devait être renforcé, ce qui comprenait rappeler à la patiente les procédures fondamentales d’hygiène chez elle ainsi que lui fournir une gouttière en plastique pour l’application de fluorure stanneux chez elle. On lui a également proposé de modifier son régime alimentaire.

On a fait part à la patiente de ses options de traitement et des pronostics en ayant pour ultime objectif de lui poser des implants intraosseux afin de pouvoir soutenir une reconstruction maxillaire fixe. Comme le coût de ces objectifs de traitement à long terme était prohibitif pour elle, on a décidé de conserver le plus grand nombre de dents possible comme piliers de prothèse hybride afin de préserver l’intégrité du processus alvéolaire, une décision qui influerait sur la conception de la prothèse.

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Illustration 4 : Vue frontale montrant la ligne du sourire élevée de la patiente.

Comme la ligne du sourire de la patiente était très élevée (Ill. 4) et que la hauteur de la crête alvéolaire était pauvre à l’arrière, la rétention des piliers antérieurs supposerait l’absence d’une fausse gencive labiale pour compléter la prothèse. Pareil défaut dans la conception de la prothèse a des répercussions pour sa rétention et sa stabilité. Aussi deviendrait-il de plus en plus important de compter sur certaines des dents qui restaient pour favoriser le soutien et la rétention de la prothèse hybride.

Les premières empreintes ont été prises avec un alginate pour empreinte. Lors de la visite suivante, on a décidé, en enlevant le pont provisoire, de conserver les dents 11, 12 et 23 comme dents stratégiques pour servir de piliers à la prothèse hybride. Afin de former le pilier pour les dents 11 et 12, on a choisi un alliage céramo-métallique en forme d’attelle avec rétention à l’aide d’une agrafe Hader (Attachments International, San Mateo, CA) en position mésiale de la dent 11 et en position distale de la dent 12. Puis on a décidé d’utiliser une attache de précision (Zaag Root, Zest Attachment, Escondido, CA) directement mis en place pour la rétention de la prothèse hybride à la dent 23. Les dents 13 et 24 ont été conservées comme piliers de la prothèse hybride, mais ont été scellées à l’aide d’un matériau de restauration en composite.

Lors d’une visite subséquente, en enlevant le pont fixe provisoire, on a moulé les rebords d’un porte-empreinte individuel en acrylique à l’aide d’un matériau d’empreinte au polyvinylsiloxane très visqueux (Reprosil, Dentsply/Caulk, Milford, DE), suivi d’un matériau à faible viscosité afin de faciliter l’empreinte des dents-piliers préparées aux dents 11 et 12. Le maître-modèle du maxillaire a ensuite été monté sur un articulateur semi-adaptable à la dimension verticale réelle de la patiente. Les dents de la prothèse suggérée ont été choisies de concert avec la patiente et fixées dans de la cire, puis on les lui a montrées pour savoir si elle les acceptait. Suivant l’arrangement approuvé pour les dents, on a fabriqué un moule en silicone dont les contours ont facilité la conception de la restauration sur les piliers de la prothèse hybride aux dents 11 et 12. On a choisi un alliage céramo-métallique, étant donné qu’il facilitait l’application d’une porcelaine opaque à la chape (Ill. 5), assurant ainsi que la nuance de fond gris métallique ne gâcherait pas l’esthétique des dents antérieures de la prothèse (Ill. 6).

Le jour où la prothèse fut prête, on a enlevé des dents, on a taillé les dents 13 et 24 au niveau des gencives et, par la suite, on les a scellées avec un matériau de restauration en composite (Z100, 3M, St. Paul, MN). La dent 23 a été taillée au niveau des gencives, et la surface radiculaire en a été préparée pour y fixer l’attache de précision (Zaag Root) (Ill. 7) qu’on a scellée en place à l’aide d’un ciment de verre ionomère renforcé à la résine (Fuji Plus, GC America, Chicago, IL). La chape de rétention a également été posée sur les dents 11 et 12 à l’aide du même ciment. Enfin, toute la prothèse maxillaire immédiate terminée a été posée après quelques ajustements de l’occlusion et après élimination des zones de pression évidentes (Ill. 8). D’autres visites ont été nécessaires pour évaluer comment la patiente s’adaptait à sa nouvelle prothèse et pour en corriger les imperfections.

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Illustration 5 : Vue frontale du pilier de la prothèse hybride pour les dents 11 et 12 du maître- modèle. Illustration 6 : Vue frontale du pilier de la prothèse hybride pour les dents 11 et 12 in situ.. Illustration 7 : Vue palatale montrant l’attache de précision à la dent 23 et le pilier aux dents 11 et 12. Illustration 8 : Vue frontale de la patiente avec sa prothèse maxillaire complète.

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Conclusions

Pour la relation patient-dentiste, il s’agit d’un problème important à résoudre lorsque le patient doit renoncer à la sécurité et au confort d’un appareil fixe pour en porter un qui est amovible. Les questions d’ordre émotif reliées à l’âge et à l’image personnelle exigent une approche bienveillante et réfléchie à la gestion du patient. Quand le traitement a pour objectif l’utilisation à long terme d’une prothèse maintenue par des implants fixes, l’adaptation à un appareil amovible est acceptable comme mesure tran sitoire. Quand cet objectif est impossible pour des raisons de planification de traitement pratique ou d’un simple manque d’argent, il faut accorder plus d’importance à une gestion de soutien afin d’assurer une réussite optimale.

Une explication minutieuse des protocoles du traitement s’impose dès la première visite pour que le patient les comprenne bien. À défaut d’une bonne explication, il se peut que le patient ait une image négative de soi, contrariant les meilleurs efforts du praticien pour assurer le succès.

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Le Dr Carpendale exerce dans un cabinet privé de prosthodontie à Vancouver (C.-B.).

Demandes de tirés à part : Dr John J. Carpendale, 704-2525, rue Willow, Vancouver, BC V5Z 3N8.

L’auteur n’a aucun intérêt financier déclaré dans la ou les sociétés qui fabriquent les produits mentionnés dans cet article.

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Références

1. Wise MD. Failure in the restored dentition: Management and treatment. London: Quintessence; 1995.

2. Shay K. Root caries in the older patient: significance, prevention, and treatment. Dent Clin North Am 1997; 41:763-93.

3. Powell LV, Leroux BG, Persson RE, Kiyak HA. Factors associated with caries incidence in an elderly population. Community Dent Oral Epidemiol 1998; 26:170-6.

4. Narhi TO, Vehkalahti MM, Siukosaari P, Ainamo A. Salivary findings, daily medication and root caries in old elderly. Caries Res 1998; 32:52-9.

5. Schwartz N, Whitsett L, Berry R, Stewart J. Unserviceable crowns and fixed partial dentures: life-span and causes of loss of serviceability. JADA 1970; 81:1395-1401.

6. Randow K, Glantz PO, Zoger B. Technical failures and some related clinical complications in extensive fixed prosthodontics. An epidemiological study of long-term clinical quality. Acta Odontol Scand 1986; 44:241-55.

7. Glantz PO, Nilner K, Jendresen MD, Sundberg H. Quality of fixed prosthodontics after 15 years. Acta Odontol Scand 1993; 51:247-52.

8. Glantz PO, Nilner K. Patient age and long-term survival of fixed prosthodontics. Geriodontology 1993; 10:33-9.

9. Karlsson S. A clinical evaluation of fixed bridges, 10 years following insertion. J Oral Rehabil 1986; 13:423-32.

10. Bibby BG. Methods of Caries Prediction. Information Retrieval Inc. Washington DC and London. 1977.

11. Anderson MH, Bales DJ, Omnell KA. Modern management of dental caries: the cutting edge is not the dental bur. JADA 1993; 124:36-44.

12. Stookey GK. Caries prevention. J Dent Educ 1998; 62:803-11.

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