Analyse stratégique des cabinets dentaires en huit étapes

• James L. Armstrong, B.Sc., MBA, DMD •
• Anthony E. Boardman, BA, PhD •
• Aidan R. Vining, LLB, MBA, MPP, PhD •

© J Can Dent Assoc 1999; 65:553-5


[Les huit étapes|Conclusion|Références] 

Ces dix dernières années, la dentisterie est devenue de plus en plus concurrentielle, en raison notamment d’une provision croissante de nouveaux dentistes et d’auxiliaires dentaires, de besoins dentaires changeants et du pouvoir de négociation et de la subtilité accrus des acheteurs. Malgré ces pressions, la dentisterie demeure une industrie attrayante, et les dépenses en services dentaires ont grandement augmenté au Canada. Ces dernières s’élèvent d’ailleurs aujourd’hui à plus de cinq milliards de dollars1. On peut s’attendre à ce que la demande continue de croître au cours de la prochaine décennie.

Le duo croissance industrielle-concurrence accrue suggère que la stratégie du cabinet dentaire sera, à l’avenir, la clé du succès pour la plupart des dentistes. Cependant, il n’existe presque aucune tactique stratégique pour les dentistes qui aille au-delà des simples banalités. Une analyse stratégique pure et dure qui accentue la rentabilité et améliore le cabinet est difficile. Sans quelques ficelles du métier, la plupart des dentistes trouveront difficile, sinon impossible, d’établir une planification stratégique efficace. Cet article présente une approche stratégique facile à suivre et somme toute globale.

Plutôt que de préconiser une planification stratégique à grande échelle, notre approche simple tourne autour de huit étapes clés connexes2. Celles-ci peuvent être indépendantes ou constituer la base d’un plan stratégique plus exhaustif. Particulièrement utiles, ces étapes permettent de commencer tout exercice de planification stratégique.

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Les huit étapes

Étape 1 : Comprendre et catégoriser vos services

La première étape est de comprendre et de documenter les différents services offerts par votre cabinet dentaire. Il va sans dire que les services varieront d’un cabinet à l’autre, puisque la meilleure façon pour un dentiste de se différencier d’un autre est d’offrir des services différents.

Dans la pratique, il n’est pas toujours évident de décider de la nature et de l’étendue de la catégorisation des services. Par exemple, un service offert en soirée devrait-il être traité, à des fins stratégiques, comme un service différent d’un autre offert en journée? La réponse est souvent «oui» car beaucoup de dentistes ne travaillent pas le soir.

Étape 2 : Comprendre et catégoriser votre clientèle

Pour commercialiser vos services, il est essentiel de catégoriser votre clientèle soigneusement et de comprendre les besoins de chaque catégorie3, à savoir démographie, intégralité de l’assurance, prestations recherchées (gravité/urgence par opposition à l’esthétique) et proximité de votre cabinet.

Il est également important de reconnaître que même si les patients sont presque toujours les derniers utilisateurs des services dentaires, ils ne sont pas toujours les seuls clients. D’autres acheteurs, comme les compagnies d’assurance ou les personnes renvoyant des patients, devraient aussi être considérés comme des clients et être catégorisés.

Étape 3 : Bâtir une matrice service-client

Une matrice service-client (MSC) allie les étapes précédentes en une matrice. D’ordinaire, les cellules contiennent de l’information spécifique à la catégorie service-client. Elles peuvent indiquer si le cabinet fonctionne dans chacune des catégories ou, plus utile, renseigner sur les revenus ou toute autre donnée stratégique. Ainsi, une MSC illustre clairement comment différentes catégories de services et de clients s’accordent4. Elle montre quels types de clientèle achète quels services dentaires5.

Une MSC peut également montrer l’importance de chaque catégorie service-client. Cette analyse est l’essence même du positionnement stratégique. (Notez que le positionnement stratégique est défini en termes de catégories de services et de clients, et non d’emplacement géographique.) La position stratégique est l’élément stratégique le plus important : il dicte le style, la rentabilité et la croissance du cabinet.

La position stratégique du cabinet dentaire peut être choisie ou bien dérivée de décisions antérieures, pas nécessairement bien pensées. Des stratégies de positionnement implicites peuvent bien tourner si le dentiste est chanceux, mais des stratégies choisies sont plus à même de réussir.

Étape 4 : MSC de concurrence

La planification stratégique exige des dentistes qu’ils tiennent compte des actions des dentistes rivaux (concurrents). Une rivalité intense diminue les profits de chacun. Pour comprendre les rivaux, il est tout d’abord utile d’identifier les concurrents et de les placer sur une MSC — c.-à-d. classer les rivaux dans chaque catégorie service-client. Il se peut que vous deviez y inclure les services ou groupes de clients propres à d’autres cabinets (et non au cabinet analysé). La matrice ainsi obtenue s’appelle une MSC de concurrence. En analysant la matrice, on peut déterminer si un dentiste est confronté à différents concurrents dans différentes catégories, ou si la concurrence est féroce ou plutôt aisée.

Quatre autres raisons expliquent pourquoi les MSC de concurrence peuvent s’avérer utiles. Premièrement, diverses catégories peuvent avoir divers taux de croissance ou potentiels de rentabilité. Il se peut qu’un cabinet cherche à se retirer de catégories peu attrayantes pour s’installer dans d’autres qui le sont plus. Deuxièmement, divers facteurs clés du succès risquent de prévaloir sur différentes catégories service-client. Il est important de voir si votre cabinet possède déjà les facteurs ou les compétences clés du succès ou s’il a besoin de les acquérir. Troisièmement, il arrive que des cabinets préfèrent poursuivre différentes stratégies opérationnelles dans différentes catégories. Quatrièmement, une MSC de concurrence démarque les frontières du secteur, ce qui est indispensable à une analyse de l’industrie.

Étape 5 : Une carte emplacement-proximité

La dentisterie est une entreprise axée sur l’emplacement — la principale décision stratégique de différenciation6. Les cabinets dentaires proches l’un de l’autre se concurrencent toujours à un certain degré. L’emplacement affecte également la taille et les caractéristiques démographiques de la clientèle du cabinet7.

Puisque décider de l’emplacement du cabinet implique un investissement fixe à long terme, les inconvénients d’en choisir un mauvais sont difficiles à surmonter. Déménager engage des frais de transaction importants. Si le cabinet déménage loin, il perd la clientèle qu’il s’est établi pour devoir en bâtir une nouvelle — une démarche coûteuse.

Pour évaluer l’emplacement actuel d’un cabinet dentaire (ou tout autre emplacement éventuel), une première étape utile est de dessiner une carte emplacement-proximité, qui localise tous les rivaux de la circonscription du cabinet.

Étape 6 : Identifier les concurrents voisins

Plus les concurrents sont proches, plus les profits diminuent. La proximité a deux dimensions : géographique et stratégique. On peut déterminer la proximité géographique en subdivisant la carte emplacement-proximité en fragments isotemporels8. (Un fragment isotemporel représente les temps de déplacement pour se rendre à votre cabinet, à savoir 15 ou 30 minutes.) La proximité stratégique dépend de la similarité des catégories de services et des groupes de clients des rivaux, qui peuvent être soustraits de la MSC de concurrence.

Les cabinets dentaires font généralement concurrence aux cabinets les plus proches en termes de proximités géographique et stratégique. Un cabinet dans le même immeuble qui offre des services semblables à une clientèle semblable est le plus grand rival. Par contre, un cabinet dans le même immeuble qui offre des services différents ou qui a une clientèle différente est moins menaçant. Par exemple, un cabinet axé sur l’esthétique souffre moins de la concurrence d’un cabinet familial proche que d’un autre cabinet de dentisterie esthétique plus éloigné.

Étape 7 : Identifier le degré de concurrence des concurrents proches : différenciation vs maîtrise des coûts

Les cabinets dentaires qui sont proches des points de vue géographique et stratégique devraient être soigneusement analysés. Bien que les cabinets aient en ces points des similarités, ils peuvent appréhender la concurrence différemment. Il existe deux positions concurrentielles classiques. L’une cherche à accroître la satisfaction des clients et les honoraires qu’ils sont prêts à payer — position de différenciation. L’autre s’attarde à baisser les coûts de service ou d’exercice — position de maîtrise des coûts. Toutes deux sont des concepts relatifs — ne faisant de sens qu’en comparaison avec des dentistes rivaux. C’est pourquoi il est nécessaire d’examiner la position stratégique de tous les cabinets voisins.

Les concurrents qui adoptent la même philosophie de concurrence sont plus problématiques et plus influents que ceux qui en adoptent une différente.

Étape 8 : Comprendre la stratégie de concurrence de votre cabinet : des façons d’accroître la demande et de réduire les coûts

La différenciation est guidée par ce que les clients prisent (ou peuvent être persuadés de priser!). Peut-être ne pouvez-vous pas convaincre le public en général qu’il a besoin de plus de services dentaires, mais vous pouvez sûrement convaincre le public immédiat que votre cabinet dentaire offre de meilleurs services que les cabinets concurrents. Il est possible d’accroître la demande de services dentaires (position de différenciation) avec une expérience ou expertise supérieure, une apparence physique du cabinet attrayante, un entregent excellent, un marketing et des échanges efficaces et, enfin, une administration et direction de qualité.

La maîtrise des coûts est tout une question de rabais. Les cabinets peuvent réduire leurs coûts (position de maîtrise des coûts) en réalisant des économies d’échelle ou de diversification, grâce à l’apprentissage, à une coordination et un aménagement des horaires supérieurs, à une réduction des coûts des intrants et à une conception du cabinet efficace.

Un cabinet n’a pas à concourir de la même façon pour tous ses services, voire de la même façon pour une clientèle différente achetant un même service. Cependant, beaucoup de cabinets suivent une stratégie de concurrence semblable pour tous les services et les clients. Peut-être cherchent-ils à être un fournisseur peu dispendieux pour tous les services offerts ou, autrement, adopter une stratégie de différenciation (en améliorant la qualité perçue des services). Cette cohérence stratégique peut s’expliquer de plusieurs façons. Les services sont considérablement liés à une même source d’approvisionnement — les mêmes installations dentaires servent à dispenser tous les services. Une autre raison est que les organismes ont du mal à soutenir des idées différentes ou à adopter des pratiques différentes en même temps — comme offrir une qualité élevée pour certains services mais chercher à réduire les coûts pour d’autres. Par exemple, la plupart des cabinets ont du mal à offrir des services par capitation dans les mêmes installations que des services d’élite comme la dentisterie esthétique. Bien sûr, un cabinet qui réussit à jongler des services de haute qualité à bas prix en sortirait un gros gagnant.

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Conclusion

Bien que les huit étapes énoncées ne constituent pas l’analyse stratégique exhaustive d’un cabinet dentaire, elles se rapportent à plusieurs des plus grandes questions stratégiques. Ces étapes sont vraiment simples, et n’importe quel dentiste qui désire entamer une analyse stratégique peut les appliquer. a

Une série d’articles étudiant ces huit étapes clés ainsi que les outils dont peuvent se servir les dentistes pour analyser leur cabinet seront publiés dans le Communiqué de l’ADC.

Le Dr Armstrong est le directeur général d’Aarm Dental Group et professeur adjoint à la Faculté d’administration des affaires de l’Université Simon Fraser.

Le Dr Boardman est professeur de stratégie et de politique gouvernementale à la Faculté de commerce de l’Université de la Colombie-Britannique.

Le Dr Vining est membre de l’association CNABS et professeur des affaires et des relations avec le gouvernement à la Faculté d’administration des affaires de l’Université Simon Fraser.

Demandes de tirés à part : Dr James L. Armstrong, 112-1000, av. Beach, Vancouver BC V6E 4M9.

Les vues exprimées sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement les opinions et les politiques officielles de l’Association dentaire canadienne.

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Références

1. Santé Canada. Le fardeau économique de la maladie au Canada, 1993. Direction générale de la protection de la santé - Laboratoire de lutte contre la maladie, Table 2, 1997.

2. Armstrong JL, Boardman AE, Vining AR. Key steps in the strategic analysis of a dental practice. Health Marketing Quarterly 17 (forthcoming).

3. Hawes JM, Prough GE. Analyzing the market for dental services. Health Marketing Quarterly 1987-88; 5:171-82.

4. Boardman AE, Vining AR. Defining your business using product- customer matrices. Long Range Planning 1996; 29:38-48.

5. Pickett G, Stell R. A comparison of retail dental center and traditional dental center patrons. J Health Care Mark 1990; 10:51-5.

6. Paul DP. Dental practice location: some aspects of the importance of selection of place. Health Marketing Quarterly 1997; 14:55-69.

7. Becker BW, Kaldenberg DO, McAlexander JH. Site selection by professional services providers: the case of dental practices. Journal of Marketing Theory and Practice 1997; 5:35-44.

8. Chakraborty G, Gaeth GJ, Cunningham M. Understanding consumers’ preferences for dental service. J Health Care Mark 1993; 13:48-58.

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