La désaccoutumance au tabac : n’est-il pas temps que la dentisterie s’investisse davantage?

Linda Samek, CAE •

© J Can Dent Assoc 2001; 67:139-40


Les statistiques sont bouleversantes. Le tabac est de loin le plus important facteur de risque associé aux décès causés par le cancer au Canada1. La consommation de tabac est à l’origine d’environ 30 % de tous les décès causés par le cancer2. La Société canadienne du cancer estime à 132 100 le nombre de nouveaux cas de cancer et à 65 000 les décès causés par le cancer au Canada en 20003. Le cancer du poumon demeure la principale cause de décès associés au cancer, tant chez les hommes que chez les femmes3. En Ontario seulement, on compte environ 1,9 million de fumeurs par jour, dont près de la moitié, estime-t-on, mourront de maladies associées au tabagisme4.

Selon les ouvrages portant sur le sujet, le cancer du poumon ne devrait pas être la seule crainte des fumeurs. Ces derniers doivent être mieux renseignés sur le lien entre le tabagisme et les cancers de la bouche et la maladie parodontale. Qui de mieux placé pour discuter de cette importante question de santé que les dentistes et la profession dans son ensemble?

La dentisterie s’attaque aux problèmes reliés au tabagisme depuis des années. Par exemple, l’Association dentaire de l’Ontario (ADO) a élaboré, en 1987, une politique sur la consommation de tabac. Celle-ci reconnaissait les effets directs et indirects possibles du tabac et interdisait sa consommation dans toutes les salles de réunions de l’ADO. Elle encourageait également l’interdiction de fumer dans les endroits publics et rejetait toute publicité des produits du tabac. Pour tout organisme désireux de promouvoir une santé bucco-dentaire optimale, cette politique constituait un bon fondement. Cependant, il aura fallu attendre une autre décennie pour que l’ADO adopte une politique sur la désaccoutumance au tabac.

Adoptée en novembre 1998, la dernière politique de l’ADO porte sur la désaccoutumance au tabac. Elle va même jusqu’à encourager les membres de l’ADO à recevoir une formation à ce sujet afin de pouvoir mieux aider leurs patients à cesser de fumer. S’inspirant de sa politique, l’ADO s’est jointe à l’Association médicale de l’Ontario et à l’Association des pharmaciens de l’Ontario afin de mobiliser les professionnels de la santé et de les encourager à améliorer leurs connaissances en matière de désaccoutumance au tabac en prenant part à un programme d’intervention clinique en matière de tabagisme (ICT). En collaborant ensemble au programme ICT, les 3 associations regroupent ainsi les fournisseurs de soins primaires que les patients consultent régulièrement. Nos efforts visent à fournir aux praticiens les outils dont ils ont besoin pour aider leurs patients à cesser de fumer. La dépendance au tabac est un état chronique. Des études révèlent que la majorité des fumeurs souhaitent arrêter de fumer et qu’une aide aussi petite soit-elle peut leur être utile5.

Pourquoi la dentisterie a-t-elle tant tardé à s’impliquer dans la désaccoutumance au tabac? Il y a longtemps que les dentistes nous disent craindre la réaction de leurs patients s’ils leur conseillaient, lors d’un examen, d’arrêter de fumer. Les conclusions tirées par une étude menée en Alberta, selon laquelle la majorité (61,5 %) des dentistes croyaient que leurs patients ne s’attendaient pas à recevoir des services de désaccoutumance au tabac (SDT), semblent corroborer nos doutes à ce sujet6. Selon cette même étude, près de la moitié des dentistes interrogés (53,9 %) craignaient de perdre leur clientèle pour lui avoir offert de tels services.

Depuis la publication de cette étude, nous sommes devenus plus optimistes quant à l’attitude des dentistes face au ICT. Une étude menée dernièrement par l’ADO révèle que 88 % des personnes interrogées demandent à leurs patients s’ils fument et que 61 % les informent des effets du tabagisme sur leur santé bucco-dentaire. La plupart des personnes interrogées aimeraient aussi prendre part à des programmes d’enseignement ou de formation en désaccoutumance au tabac. Nous croyons qu’une formation sur le ICT incitera davantage les dentistes et leur personnel à promouvoir la désaccoutumance au sein de leur cabinet.

Les patients voient également d’un bon œil la participation des fournisseurs de soins primaires au ICT et aux SDT. Une étude menée par Campbell et coll. révèle que la plupart des patients interrogés (58,5 %) pensent que les cabinets dentaires devraient offrir des SDT6. Selon une enquête effectuée en 2000 par Market Facts du Canada Ltée pour le compte du programme ICT, on a demandé à 300 fumeurs/consommateurs de tabac de l’Ontario s’ils voyaient un inconvénient à ce que des professionnels de la santé leur donnent des conseils pour arrêter de fumer. Soixante-deux pour cent ont répondu qu’ils seraient à l’aise ou entièrement à l’aise que leurs dentistes les conseillent à ce sujet, tandis que 19 % ont dit n’être pas à l’aise ou pas du tout à l’aise. Le taux de réponse était semblable dans le cas des médecins et des pharmaciens.

Il est peut-être temps que les dentistes cessent de craindre que l’attitude des patients soit un obstacle à leurs initiatives en matière de désaccoutumance au tabac. Sachant maintenant que leurs patients accepteront leurs conseils et qu’il est de plus en plus évident que le tabagisme cause certaines maladies bucco-dentaires, les dentistes ont plus que jamais raison de vouloir se renseigner davantage et prendre part à des programmes de formation en désaccoutumance au tabac. Est-il convenable que ce soit d’autres fournisseurs de soins primaires qui offrent des SDT? Dans une société fondée sur la connaissance, où les patients ressentent le besoin d’être informés avant de consentir à des soins, les dentistes sont bien placés pour emboîter le pas et travailler auprès de leurs patients pour diminuer leur consommation de tabac.

On a beaucoup parlé de cancer, de contrôle et de prévention du cancer. Devant les quelques 894 000 années de vie perdues à cause du cancer au Canada en 19973, nous sommes à nous demander si le message est bien entendu. Lorsqu’il est question de prévenir les décès causés par le cancer, tous les professionnels dentaires devraient considérer la lutte contre le tabagisme comme une priorité. Même de courts messages suffisent. Les dentistes peuvent recourir à de nombreux moyens pour aider leurs patients à cesser de fumer; les thérapies de remplacement de la nicotine ou l’ordonnance de timbres et de gomme à la nicotine en sont des exemples. Il suffit de commencer par demander aux patients s’ils fument. Si vous n’avez pas déjà franchi cette étape, n’est-il pas temps que vous discutiez avec eux?

Interdire la consommation de tabac au sein de votre cabinet est un bon point de départ. Les dentistes et leur personnel sont des modèles à suivre. Amenez votre personnel et tous les membres de votre équipe à prendre part aux discussions avec vos patients. Vous avez besoin de plus de renseignements? Discutez de vos expériences avec vos collègues. Lisez des articles ou inscrivez-vous à un cours.

Les dentistes sont depuis longtemps investis dans la prévention. Des directives élaborées récemment aux États-Unis décrivent le tabac comme une toxine qui entraîne de graves handicaps, des maladies évitables et la mort7. La diminution et la prévention des risques associés au tabagisme ne vous tiennent-elles pas à cœur?


Mme Linda Samek est directrice des affaires professionnelles, Association dentaire de l’Ontario.

Les vues exprimées sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement les opinions et les politiques officielles de l’Association dentaire canadienne.


Références

1. Santé Canada. Direction générale de la santé de la population et de la santé publique. Maladies chroniques au Canada 1992; 13 (No 1, suppl.): S26 tel que rapporté dans Faits sur le cancer.

2. Santé Canada. Direction générale de la santé de la population et de la santé publique. Le cancer du poumon au Canada, juin 1998. Disponible à l’adresse URL : http://www.hc-sc.gc.ca/hpb/lcdc/bc/updates/lung_f.html 

3. Société canadienne du cancer. Statistiques canadiennes sur le cancer 2000. Disponible à l’adresse URL : http://www.cancer.ca/stats2000/index.html4.  Canadian Cancer Society Fact Sheet. Available from URL: http:// www.ontario.cancer.ca/Ontario/smoke%20helpliner.htm 

4. Canadian Cancer Society Fact Sheet. Available from URL: http:// www.ontario.cancer.ca/Ontario/smoke%20helpliner.htm 

5. A clinical practice guideline for treating tobacco use and dependence, consensus statement: a US Public Health Service report. The Tobacco Use and Dependence Clinical Practice Guideline Panel, Staff and Consortium Representatives. JAMA, 2000; 283(24):3244-54.

6. Campbell HS, Sletten M, Petty T. Patient perceptions of tobacco cessation services in dental offices. J Am Dent Assoc 1999; 130(2):219-26.

7. U.S. Department of Health and Human Services, Public Health Service, Clinical Practice Guideline, Treating Tobacco Use and Dependence, June 2000.